(IPS 14/06/2010)
"Ici, c'est 1.000 francs FCFA (environ deux dollars), et là c'est le billet de 500 FCFA; ça fait 1.500 FCFA, le prix d'un litre de miel. Je ne peux plus oublier", affirme joyeusement Paul Mombenza, un pygmée du village Ibenga, dans le nord du Congo-Brazzaville.
"Avant, je ne reconnaissais que 10.000 FCFA en un seul billet, maintenant, je peux compter un à un les billets jusqu'à 10.000 FCFA, même 20.000 FCFA. Les Bantous ne peuvent plus me tromper", déclare un autre pygmée, Mongengela du village Mafouete, dans la même région.
Pour faire face aux difficultés de monnaie, de fixation de prix et de maîtrise des quantités de produits sur le marché local, les pygmées de la Likouala, dans le nord de ce pays d’Afrique centrale, apprennent actuellement à lire, à écrire, mais surtout à compter.
Dès 7 heures, le petit centre d'encadrement de Dongou, dans le nord, est déjà pris d'assaut par les apprenants. Ce sont des pygmées adultes de plus de 30 ans venus d'une dizaine de villages des districts de Bétou, d’Enyele, de Dongou et d'Impfondo, dans le nord. La plupart d'entre eux n'ont jamais été à l'école.
Avec un bâton qu'elle cogne d'un bruit assourdissant sur un tableau noir, Valérie Bokodi, une pygmée, formatrice et dont le cursus se limite au niveau du Certificat primaire, fait répéter aux apprenants : "500 + 500 = 1000; 1.000 + 500 = 1500; 5.000 + 5.000 = 10.000", crient ces adultes à tue-tête.
"Nous ne nous arrêtons pas seulement à cette théorie. On se sert aussi de billets de banque pour fixer les connaissances", souligne-t-elle à IPS.
"Notre objectif à travers ce cours de calcul, c'est de lutter contre la tromperie dans les marchés, d'aider les parents à savoir compter l'argent et fixer les prix de marchandises comme tous les autres vendeurs", explique Richard Bokodi, un pygmée, président de l'Association pour le développement des Baaka, basée à Dongou. Il est coordonnateur de ce projet.
Des Bantous - la majorité des Congolais - reconnaissent qu’ils profitent de l’ignorance des pygmées pour acheter leurs produits à vil prix. "Sur le marché, un paquet de coco (gnetum) est vendu à 100 FCFA (environ 0,2 dollar), mais nous l’achetons chez eux à 25 FCFA (le quart)», témoigne à IPS, Michel Kinga du village de Ngouha II, dans le sud-ouest du pays.
«A Sibiti (sud-ouest), par exemple, on impose aux pygmées de vendre une gazelle à 1.500 FCFA (environ trois dollars), alors qu’elle coûte 4.000F CFA (huit dollars)», révèle à IPS, Jean Nganga, président de l’Association de défense et de promotion des droits des peuples autochtones, basée à Brazzaville.
«Cette formation vient à point nommé. C’est bien que cela vienne d’eux-mêmes, car on a toujours vu comment ces populations sont victimes d’escroquerie et de duperie, simplement parce qu’elles ne savent pas compter l’argent», approuve Chanel Loubaky Moundele, juriste défenseur des droits humains et chercheuse sur les pygmées.
D’autres pygmées restent esclaves du cycle infernal de l’endettement parce qu’ils ne savent pas combien ils contractent comme dette, et ce qu’ils doivent payer. «Pour une dette de 2.000 FCFA (quatre dollars), ils peuvent passer deux à trois ans de servitude dans des ménages et des champs agricoles pour la rembourser», affirme Nganga.
Au Congo, les pygmées ne sont pas de gros producteurs agricoles. Mais, ils fournissent le marché local en produits de cueillette comme le miel, les chenilles, les asperges, les gaulettes, les lianes, les fruits, les feuilles et légumes sauvages. Ils fabriquent également l’huile de palme et des produits médicinaux à partir des plantes. Tous ces articles sont achetés à vil prix.
Ce projet de formation au profit des pygmées est financé par l'ambassade des Etats-Unis à Brazzaville à hauteur de 5,9 millions FCFA (environ 11.800 dollars). «Le cours était destiné à 50 personnes, mais là, nous sommes débordés, ils sont plus du double à présent», s’étonne Bokodi, lui-même formateur, titulaire d’un Brevet d’études secondaires de l’école publique.
La formation des adultes pygmées est une expérience rare au Congo. "Pour l’heure, il n’y a encore rien. Nous nous focalisons d’abord sur l’éducation des enfants», avoue Justin Kouendolo, chef du bureau des études à la direction générale de l’alphabétisation du Congo.
Interrogé par IPS, Alexis Mfoukoumouko, expert au bureau de Brazzaville du Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) sur l'école des pygmées, confirme ce constat. "Il n'y a aucune initiative à ce niveau (des adultes pygmées)».
Des familles entières de pygmées se sont déplacées vers Dongou pour suivre ce cours de calcul. Des campements de fortune ont été dressés autour du centre. «Ils vont rester ici pendant deux mois, et le projet a prévu de verser à chaque apprenant 15.000 FCFA (environ 30 dollars) par mois», indique Bokodi.
Selon Mfoukoumouko, moins de cinq pour cent des pygmées savent lire. Le nombre de pygmées au Congo est estimé à plus de 300.000, soit 10 pour cent de la population totale du pays.
Le gouvernement incite les enfants pygmées à fréquenter les écoles publiques. Dans la région de la Likouala-Sangha, dans le nord, considérée comme le foyer de cette communauté, 2.671 enfants sont en cours de scolarisation, selon l’UNICEF. Une vingtaine d’écoles spéciales sont ouvertes dans cette région.
Toutefois, dans l’ensemble du pays, ils sont estimés à plus de 5.000 enfants pygmées à fréquenter l'école, mais 28,6 pour cent seulement des enfants pygmées du Congo sont inscrits au cycle primaire, selon l’UNICEF. Ils sont nombreux à déserter les classes à cause des frustrations, des discriminations et surtout de la faim. «La faim affecte l’éducation chez les pygmées», ironise Mfoukoumouko.
Mais, grâce au système de cantines scolaires, l’organisation américaine 'International Partnership of Human Development' a pu scolariser 927 enfants pygmées dans la région de la Lékoumou (sud du pays).
Arsène Séverin
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