(Afrik.com 07/04/2012)
Les mots sont sans équivoque, le président Faure Gnassingbé demande pardon, au nom de l’Etat, à ses concitoyens : "A toutes les victimes et à tous ceux qui ont souffert de ces violences aveugles qui leur ont causé tant de tort et de blessure, je voudrais sincèrement dire pardon au nom de l’Etat togolais, en mon nom personnel ... Autrement, le président demande aux victimes de déchirer la page sur laquelle elles ont, avec rage, inscrit, certains de leur sang, d’autres de leurs larmes, le compte débiteur du régime du RPT, son régime. Ce discours, suffit-il, seul, pour désarmer les esprits longtemps gouvernés par un parcours de ressentiment et de vengeance ? Qu’en est-il du devoir de justice ?Il n’est toujours pas facile de trouver les mots pour s’excuser. Il n’est pas évident de savoir demander pardon. Mais, rien n’obtient le pardon plus promptement que le repentir. Le tout se trouve dans le choix des mots, dans la capacité du requérant à accepter de tout abandonner au profit des seuls actes qui conditionnent le pardon, quoique cela lui coûte. Le pardon, pour tout dire, n’est pas un mot. C’est un processus, un mode de vie. Comment Faure veut-il que les hommes et les femmes ayant fui le Togo à cause des violences et de la précarité économique organisées par les soins de son parti acceptent son pardon lorsqu’en plus, il dénie à cette nombreuse Diaspora le droit de vote en refusant de la recenser comme partie de la population togolaise ? A-t-il déjà puni ses collaborateurs incriminés dans le scandale du faux rapport de la CNDH ? Ou, doit-on se résigner à accepter que l’Etat togolais a vocation de rémunérer les criminels faute de les traduire en justice ?
Si le discours du président sur le pardon est noble, digne d’un leadership, il semble venir d’un manque de mémoire, d’une arnaque que trahissent les actes que Faure Gnassingbé ne pose pas. A moins qu’il soit suivi dans les prochains jours de mesures fortes qui confirment la bonne foi de l’auteur, c’est-à-dire Faure Gnassingbé, le pardon restera au Togo, un luxe au lieu d’être un mode de vie.
La démarche de Faure comporte un mensonge de taille, une perfidie offensante : « au nom des Chefs d’Etat qui ont eu à présider aux destinées de notre pays : Sylvanus OLYMPIO, Kléber DADJO, Nicolas GRUNITZKY, Eyadèma GNASSINGBE, Abasse BONFOH ». Ce bout s’apparente à une réécriture de l’histoire. Le Togo a connu, dans les années 60, des affrontements politiques, parfois meurtriers, qu’on peut assimiler à une crise de jeunesse d’un Etat en lutte pour son indépendance. Cela n’a rien de comparable aux violences politiques généralisées, aux assassinats politiques en séries commis par des escadrons de la mort à la solde des Gnassingbé, au terrorisme et au gangstérisme d’Etat orchestrés par le RPT et les FAT, qui ont vastement endeuillé le Togo. Quelle est la famille togolaise qui peut s’enorgueillir de n’avoir jamais subi les exactions des FAT et de leurs miliciens ? Ces assassinats d’adversaires politiques, ces massacres en masse des populations sont indissociables du refus du général Eyadèma et de son fils Faure à adhérer au processus de démocratisation.
A force de vouloir, à tout prix, mélanger les périodes, d’étendre les responsabilités, l’actuel président, non seulement déforme la vérité historique. Mais aussi, il se voit contraint de demander pardon pour des crimes qui n’ont pas été commis. Qu’on nous le démontre : qui peut se laisser convaincre que Grunitzky Nicolas et Kléber Dadjo avaient organisé des crimes pendant leur bref passage à la tête de l’Etat togolais ? Qui peut croire que Sylvanus Olympio n’est pas une victime mais plutôt un coupable de crimes ? Le pardon de Faure, on le voit, semble forcé par un dessein obscur, emballé dans un tissu de mensonges. Ça devient une autre offense ; ce qui est, dans son cas, une situation aggravante. La constitution de 1992 votée dans l’enthousiasme général comportait suffisamment de garde-fous pour éviter au Togo les violences politiques pour lesquelles le président du moment demande pardon. Le bon sens et la sincérité, ne lui recommandent-il pas de commencer son acte de contrition par la remise en vigueur de ce texte fondateur de notre démocratie ?
Le RPT, rappelons-le, avait, unilatéralement et sans aucune consultation populaire, défiguré et vidé de sa substance ce texte plébiscité en Octobre 1992 par le peuple togolais tout entier. Et puis, paradoxe des paradoxes, une simple revue de l’actualité au Togo nous apprend que le président qui, demande aujourd’hui pardon à son peuple pour des crimes dans lesquels il avoue avoir une part de responsabilité, est incapable de déterminer le nombre de mandats qu’il juge suffisant pour un élu à la magistrature suprême. Faure Gnassingbé est-il réellement sincère avec lui-même en déclamant ces quelques mots autour de son pardon ? A-t-il réellement pris la mesure du peuple togolais qui veut bien du pardon, mais pas à n’importe quel prix ? S’il était sincère, humble et amoureux de son pays, trouvera-t-il « absurde » que ce peuple lui réclame une discussion sur la limitation du mandat présidentiel ?
Ce mélange des genres qui aboutit au pardon de Faure Gnassingbé est annonciateur d’un nouveau canular. Nous sommes, en effet, en année électorale, les compétions approchent à grands pas et il lui faut faire quelques gestes qui ne seront en rien nocifs pour son régime. C’est tout le sens qu’il faut donner au récent tour de piste de l’usurpateur. Cette duperie n’impressionne et n’émeut nullement les Togolais sains et avisés qui connaissent l’appétit vorace de l’héritier de la dictature.
Faure veut-il du pardon du peuple togolais ? L’équation est simple à régler : qu’il remette sur la table la Constitution d’Octobre 1992, jette l’éponge et organise avec l’aide de la Communauté internationale des élections libres et transparentes auxquelles il peut se présenter. S’il gagne ces élections, bravo, les Togolais lui seront redevables et il méritera à vie leur pardon. Le reste n’est que fourbe et ruse d’un jouisseur du pouvoir, d’un dictateur invétéré.
Kodjo Epou
Washington DC
USA
samedi 7 avril 2012 / par Kodjo Epou, pour l'autre afrik
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