mercredi 13 avril 2011

Libye. Dans Ajdabiya libérée

(Le Télégramme 13/04/2011)

Avec la guerre, Ajdabiya a perdu son âme. Les intenses combats dont elle a été le théâtre l'ont vidée de ses 100.000habitants. À peine libérée, pour la troisième fois, cette ville fantôme tentait, lundi, de conforter ses défenses.
Ajdabiya, ville suppliciée. Deux fois reprise par les kadhafistes; trois fois par les rebelles. Cette ville de 100.000 habitants, carrefour clé verrouillant les accès à Benghazi, à 150kilomètres au nord, et Tobrouk, à plus de 300kilomètres à l'est, n'en finit pas de panser ses plaies.
Ville fantôme
Ce lundi, à l'entrée Est de la ville, une tractopelle tente d'effacer les cicatrices laissées par les derniers combats. Dérisoire. Le bitume est défoncé, jonché de débris en tous genres. Les carcasses noircies de véhicules se comptent par dizaines. Des impacts d'armes lourdes grêlent les façades des habitations. Partout, des bâtiments éventrés, des arbres déchiquetés. Dans les rues: personne. Ajdabiya est une ville fantôme. On y entre presque au ralenti, dans un silence indescriptible. Dans une atmosphère irréelle. Pesante. Oppressante. Les quelques véhicules qui circulent semblent hésiter. Rouler au pas ou à tombeau ouvert? Les containers à poubelles jaunes qui obstruent la chaussée ne laissent pas souvent le choix: il faut ralentir. Si les rues sont désertes, ce n'est pas le cas de l'hôpital. Une ambulance déboule, sirène hurlante. À l'intérieur, un combattant rebelle en sang, allongé sur le ventre. Il a reçu un projectile qui lui a traversé la poitrine. Preuve vivante que le cessez-le-feu annoncé la veille par le colonel Kadhafi a déjà volé en éclats.
«Vous voulez voir la morgue?»
L'entrée des urgences est en effervescence. Un pick-up arrive en trombe, avec un autre blessé. Les rebelles affluent aux nouvelles. Un petit groupe pénètre en courant dans le hall. Ils cherchent le premier blessé. Il est en salle de réanimation, mal en point. Une pagaille indescriptible règne. À l'extérieur, des rebelles s'apostrophent. S'agitent, s'engueulent. Où est ce front invisible? «À mi-chemin, entre Brega et ici, à 40kilomètres, assure un insurgé. On se bat au RPG (lance-roquettes) et au canon de 30mm». Les combats ont fait au moins trois morts ces derniers jours. «Ils sont dans la morgue. Vous voulez les voir?» demande un médecin. On quitte l'hôpital. Les rues offrent partout les mêmes images de désolation. Nous croisons seulement deux civils qui déchargent un camion rempli de briques de lait. Au bout d'une avenue, un rond-point sinistre. Le vent s'est levé et fait se balancer un squelette en plastique, pendu à un mât. À son pied, gisent un morceau d'aile d'avion et les débris d'un missile. Un coup de feu retentit. Il faut partir.

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