jeudi 3 juin 2010

Burundi - Une présidentielle sans saveur

(Le Pays 03/06/2010)
Le Burundi nous préparerait-il à une autre guerre ? En tout cas la tournure du processus démocratique inquiète. Très remontée, l’opposition a entrepris de bouder la présidentielle du 28 juin prochain qu’elle qualifie déjà de truquée. Le pouvoir, lui, se complaît d’une situation qui lui ouvre grandement les portes de la "gloire".
Le Président sortant Pierre Nkurunziza, étant désormais ultra favori, devant Yves Sahinguvu, le premier vice-président actuel et candidat du principal parti tutsi Uprona. Pourtant, après des années de guerre civile, le Burundi avait enfin de quoi pavoiser. Les négociations n’auront pas été faciles, mais le régime actuel peut s’enorgueillir d’avoir réussi l’essentiel : la paix et l’amorce d’une expérience démocratique acceptable. Mais voilà : les vieux démons semblent être parvenus à saisir au collet les protagonistes d’une longue course au leadership. Une démocratie mal partie ? Il faut le craindre.
Le Burundi présente aujourd’hui une image écornée : des irrégularités relevées et dénoncées par une opposition qui refuse de servir de faire-valoir ; une levée de boucliers des tenants du pouvoir qui exigent des preuves. Cette litanie, l’opinion africaine et la communauté internationale y sont habituées. Elle peut conduire à la politique de la chaise vide. Il faut même craindre que de déceptions en déceptions, le pays ne bascule à nouveau dans la guerre civile. La responsabilité de tous les acteurs burundais est donc engagée, le pouvoir en place en particulier. Après avoir gagné le pari de la paix, le régime Ngurunziza doit relever le défi de la démocratie.
La situation prévalant à Bujumbura montre une fois de plus que l’alternance demeure un lointain projet sur le continent. En fait, l’opposition africaine se trouve confrontée à un vrai dilemme : poursuivre le processus électoral même si les dés sont pipés à l’avance, au risque de cautionner un système vicié ; ou jeter l’éponge, se retirer donc au profit des tenants du pouvoir, organisateurs des élections. En général, ceux-ci jubilent et gouvernent sans état d’âme. Et c’est là où le bât blesse car, tôt ou tard, l’instabilité finit par s’installer en raison de la présence d’extrémistes chez chacun des belligérants. Parmi ceux qui ont investi le système, se trouvent des porteurs potentiels de danger. Convaincus d’être aux premiers rangs des bâtisseurs du pays, ils se croient toujours exempts de critiques. Ardents défenseurs du système, ils sont en fait les premiers à l’exposer au moindre péril.
Dans l’opposition africaine également, on pèche beaucoup par amateurisme. On se donne très peu de temps pour étudier le contexte et travailler dur pour conquérir l’électorat. Or, lutter pour déloger le pouvoir en place exige plus de temps et beaucoup de sacrifice. Les fraudes sont parfois imparables, pour ne pas dire inévitables. Mais les vieux réflexes, le pouvoir de l’argent, la force des habitudes et la peur de l’inconnu, constituent des facteurs non négligeables.
L’opposition doit se donner le temps de s’organiser, conserver les acquis, contre- attaquer, proposer des alternatives crédibles, rallier les sceptiques, convaincre les indécis, et grignoter de bout en bout des parcelles du pouvoir. Un travail de longue haleine qui voit alterner privations et trahisons. En aucun cas, la conquête du pouvoir d’Etat ne doit être assimilé à un jeu d’enfant. Parce que ce continent est loin d’être maudit, ses acteurs politiques doivent s’efforcer de suivre les bons exemples, et Dieu sait s’il y en a.
L’Amérique latine par exemple, a bien réussi sa transition vers la démocratie après des décennies de guerre contre toutes sortes d’ennemis : les trafiquants de drogue, les escadrons de la mort, les dictatures sanglantes à l’origine de nombreuses luttes de libération. Ce continent vit aujourd’hui des alternances propres, des élections où le vaincu s’empresse de reconnaître sa défaite, et où le vainqueur sait se faire modeste, allant parfois jusqu’à tendre la main à son adversaire. Les Africains qui clament partout leur fraternité, brandissent avec fierté leur sens de l’humain, devraient s’inspirer de tels exemples. Après des décennies d’échec lamentable, ils devraient battre leur coulpe et chercher à rattraper leur retard. Dans cette optique, le continent a intérêt à valoriser les mandats limités avec impossibilité de tripatouiller les constitutions, et à aller de manière consensuelle vers des élections propres, équitables et transparentes.
Au Burundi nouveau en particulier, l’on devrait emprunter une autre voie après ces décennies d’instabilité. Celles-ci ont sans doute conduit à la dislocation des familles, au démantèlement des communautés de base et à la disparition des institutions. Il faut à présent rebâtir, réapprendre à vivre ensemble, forger un type de citoyen plus ouvert, plus responsable et plus soucieux de sa contribution personnelle à l’édification d’une nation nouvelle, aux côtés d’autres concitoyens. Les Burundais, toutes tendances confondues, doivent comprendre et admettre que les tâches de reconstruction n’incombent pas aux seuls gouvernants. C’est le fait de tout un chacun, à quelque niveau qu’il se trouve.
Les Burundais qui reviennent de loin, doivent à tout prix éviter le risque de revenir au conflit armé. Cela ne constitue point une solution. Il faut pour cela, éviter de dupliquer la pâle copie de l’Afrique des élections truquées. Une mascarade d’élections pour se maintenir ne sert pas. On devrait plutôt se saisir de l’occasion pour trouver des voies consensuelles afin de construire des institutions adéquates et solides. L’Afrique attend du Burundi sorti de la dure école des maquis, qu’il innove en matière d’expérience démocratique.
En passant du maquis à la démocratie bananière, il confirmera que le chef de l’Etat actuel, n’a pas suffisamment tiré leçon des expériences vécues. L’Union africaine (UA), les voisins et les organisations régionales, devraient s’impliquer au plus vite dans la résolution de ce qui s’apparente à une crise larvée. Car la présidentielle à venir se profile comme une élection à forte odeur de poudre.

"Le Pays"
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