tchat La guerre qui s'installe dans le Sahel, le silence de l'armée française, le sort des otages, les morts supposées des chefs jihadistes algériens... Thomas Hofnung, journaliste à «Libération», a répondu à vos questions sur le conflit malien.
Libération
Angélique. Que savez-vous de plus sur l’annonce de la mort d’Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar ? Les annonces tchadiennes sont-elles fiables ?
Thomas Hofnung. La mort d’Abou Zeid semble plus que probable. Elle a été évoquée ce matin par le chef d’état-major français Edouard Guillaud, et confirmée par un membre d’Aqmi sur le site bien informé Sahara média. En revanche, celle de Mokhtar Belmokhtar semble de plus en plus hypothétique. Plusieurs sources affirment qu’il serait en réalité dans une autre zone. Peut-être du côté de Gao. En tout cas, on se demande bien pourquoi les Tchadiens se sont précipités pour annoncer sa mort...
Clément. Quand on parle de «combats durs», sans plus de précisions, que faut-il entendre par là ?
T. H. Dans l’Adrar des Ifoghas, l’armée française affronte des jihadistes très déterminés, qui n’ont pas peur de mourir. Ils sont dangereux, mais ils ne disposent pas d’armes très sophistiquées. Quand on parle de «combats durs», il s’agit donc surtout de qualifier la combativité des islamistes.
Thierry. Comment les jihadistes sont-ils approvisionnés en eau, nourriture, et armes ? Le problème du ravitaillement commence-t-il à se poser pour eux ?
T. H. Ils ont eu de longs mois pour faire des réserves, et installer des points de ravitaillement dans différents secteurs de l’Adrar des Ifoghas, mais il est clair que plus le temps passe, plus ces stocks vont s’amenuiser. Pour la suite des événements, tout va dépendre de la réalité de la fermeture de frontière avec l’Algérie. Or, si Alger semble décidé à coopérer pour asphyxier les jihadistes, la frontière est très longue, et quasiment impossible à surveiller en permanence.
Pour autant, ses intérêts vitaux ne sont pas directement menacés par les groupes jihadistes installés au Mali. Qu’a-t-il obtenu en échange de son engagement réel et coûteux ? On ne le sait pas, mais il y a fort à parier qu’il aura pour longtemps les mains libres dans son pays, où la démocratie reste une coquille vide.
Clément. Quand on parle de «combats durs», sans plus de précisions, que faut-il entendre par là ?
T. H. Dans l’Adrar des Ifoghas, l’armée française affronte des jihadistes très déterminés, qui n’ont pas peur de mourir. Ils sont dangereux, mais ils ne disposent pas d’armes très sophistiquées. Quand on parle de «combats durs», il s’agit donc surtout de qualifier la combativité des islamistes.
Thierry. Comment les jihadistes sont-ils approvisionnés en eau, nourriture, et armes ? Le problème du ravitaillement commence-t-il à se poser pour eux ?
T. H. Ils ont eu de longs mois pour faire des réserves, et installer des points de ravitaillement dans différents secteurs de l’Adrar des Ifoghas, mais il est clair que plus le temps passe, plus ces stocks vont s’amenuiser. Pour la suite des événements, tout va dépendre de la réalité de la fermeture de frontière avec l’Algérie. Or, si Alger semble décidé à coopérer pour asphyxier les jihadistes, la frontière est très longue, et quasiment impossible à surveiller en permanence.
Norb. Les jihadistes sont-ils tous réfugiés dans l’Adrar, ou certains ont-ils déjà fui vers d’autres pays de la région ?
T. H. Le noyau dur d’Aqmi s’est vraisemblablement replié sur l’Adrar des Ifoghas. En revanche, d’autres groupes – recrutés localement – sont demeurés plus au Sud, que ce soit du côté de Gao ou de Tombouctou. Par ailleurs, des sources concordantes font état de l’arrivée de jihadistes dans certains pays voisins, au Burkina Fasso, mais aussi, et surtout, en Libye.Michelle. Est-on vraiment sans aucune nouvelle des otages ?
T. H. Il est impossible de répondre à votre question car les responsables français ne veulent faire aucun commentaire sur ce sujet, pour ne pas risquer de mettre leur vie en danger. Est-ce que les ravisseurs ont fait passer des messages, voire des vidéos, aux autorités françaises ? Si c’est le cas, celles-ci n’en ont rien dit.Gédéon. Pourquoi l’armée tchadienne est-elle si présente dans l’opération au Mali ? Est-elle «meilleure» que les autres armées africaines ?
T. H. La France a négocié durant de longs mois avec Idriss Déby pour qu’il participe à cette opération. L’armée tchadienne est robuste, aguerrie car elle a durant des années affronté des mouvements rebelles soutenus par le Soudan. En outre, Déby a utilisé l’argent du pétrole dont il dispose, non pas pour développer son pays, mais pour acheter des armes. Ses troupes sont donc bien équipées.Pour autant, ses intérêts vitaux ne sont pas directement menacés par les groupes jihadistes installés au Mali. Qu’a-t-il obtenu en échange de son engagement réel et coûteux ? On ne le sait pas, mais il y a fort à parier qu’il aura pour longtemps les mains libres dans son pays, où la démocratie reste une coquille vide.
Charles. Si effectivement les deux jihadistes ont bien été tués, quelles conséquences cela va-t-il avoir sur la suite du conflit ? Peuvent-ils être remplacés facilement ?
T. H. A court terme, cela aurait pour conséquence de désorganiser la nébuleuse islamiste. Mais cela ne signifie absolument pas la fin d’Aqmi. D’autres responsables prendront leur relais. Toutefois, même si d’autres chefs apparaissent, il est possible que le mouvement islamiste se fragmente par un phénomène classique de lutte pour le pouvoir.Norb. Concrètement, comment combat-on les jihadistes dans l’Adrar ? S’agit-il de combats rapprochés, ou les soldats français restent-ils principalement en soutien de l’artillerie et de l’aviation ?
T. H. La reconnaissance aérienne et le renseignement jouent un rôle primordial. Les avions et les hélicoptères sont mis à contribution pour frapper l’adversaire et ouvrir la voie aux troupes au sol. Le ministère de la Défense a mis en ligne sur son site une vidéo où l’on voit les soldats français ouvrir le feu. Dans l’Adrar, ce sont bien les soldats qui fouillent les cavités et les grottes à la recherche des jihadistes. Ce qui peut provoquer des combats très rapprochés.Julot. Comment Aqmi parvient-il à financer ses activités ? Avec les trafics et les rançons ?
T. H. On estime qu’Aqmi dispose d’un «trésor de guerre» composé de l’argent des rançons obtenues contre la libération d’otages, y compris français. Et on a souvent aussi évoqué l’argent de la drogue. Pour autant, tout le monde n’est pas d’accord sur le sujet. Certains chercheurs affirment qu’Aqmi n’a pas touché à la drogue, contrairement au Mujao (Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) actif dans la région de Gao. Une chose est sûre : ce trésor n’est pas éternel, et il est probable que les finances d’Aqmi soient en voix d’asséchement.Julie. Pour l’instant, la communauté européenne ne s’investit pas tellement dans ce conflit, cela pourrait-il changer ?
T. H. Non, il n’y a pas de raison que cela change. Certains partenaires européens – Grande Bretagne, Allemagne – mettent à disposition de la France des avions de transport ou de ravitaillement. Mais aucun pays de l’UE n’a accepté d’envoyer des troupes au sol. En revanche, plusieurs pays européens vont participer à une mission de formation de l’armée malienne baptisée EUTM Mali. Celle-ci est en cours de déploiement. Il s’agit plus d’une action à long terme.Aline. Le but des armées françaises et tchadiennes serait de prendre le contrôle de l’Adrar des Ifoghas, mais est-ce possible ?
T. H. Il ne s’agit pas de prendre le contrôle de l’Adrar des Ifoghas. Aucune armée, aussi puissante soit-elle, ne le pourrait. Le but est plutôt de réduire ou de casser le pouvoir de nuisance des jihadistes. Mais, comme on l’a vu sur d’autres théâtres, l’action militaire ne peut pas tout. Seul un processus politique de réconciliation entre les communautés du Mali, accompagné d’un plan ambitieux de développement du pays, permettra d’isoler les jihadistes et d’empêcher leur éventuel retour sur la scène malienne. C’est uniquement à ces conditions que l’opération Serval aura servi à quelque chose sur le long terme.
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