(Le Figaro 28/03/2013) INTERVIEW - Le chef de la mission française de MSF dans la
capitale centrafricaine, Serge Saint-Louis, craint que les capacités médicales
soient bientôt insuffisantes, notamment suite aux pillages qui ont eu lieu ces
derniers jours.
Les rebelles de la coalition Séléka, qui ont pris les
commandes de la Centrafrique après être entrés dans la capitale samedi, ont
ordonné ce mercredi à tous les «hommes en armes» de se «faire identifier» pour
tenter de mettre un terme aux pillages et à l'insécurité qui règnent à Bangui.
Car, depuis plusieurs jours, cette ville de moins de 1 million d'habitants vit
dans la peur des violences. Serge Saint-Louis, chef de mission pour la section
française de Médecins sans frontières (MSF) à Bangui, témoigne.
LE
FIGARO. - Comment votre organisation fait-elle face à la situation à Bangui?
Serge SAINT-LOUIS. - Trois sections de MSF - française, espagnole et
hollandaise - sont présentes en Centrafrique. Leurs équipes de coordination se
trouvent à Bangui, mais nous n'avons normalement pas de projet dans la capitale.
Depuis la semaine dernière, toutefois, une opération d'urgence de sept personnes
a été mise en place. Elle vient en appui à l'hôpital communautaire, le seul
hôpital fonctionnel aujourd'hui dans la capitale. Car, dans les autres, le
personnel n'est pas de retour, et l'approvisionnement en médicaments fait
défaut. L'électricité revient tout juste mercredi matin dans la plupart des
quartiers. Mais l'eau manque encore, ce qui complique le travail des secours.
Les pillages ont-ils affaibli vos capacités?
Deux des trois
bureaux de MSF ont été victimes de pillages entre samedi et dimanche. Depuis
lundi, on évalue le matériel volé. Les rebelles nous ont confisqué un grand
nombre de véhicules, que l'on tente aujourd'hui de récupérer. Il y a aussi eu de
la part des pilleurs - des civils ou des miliciens - des vols de meubles, de
télévisions, d'effets personnels, même de cadres de fenêtres. Cependant, il n'y
a eu aucune violence physique envers les expatriés.
Pouvez-vous vous
déplacer librement?
Après l'entrée de la Séléka en ville samedi, Bangui
ressemblait dimanche à une ville sous occupation. Les gens restaient terrés chez
eux, personne ne bougeait, hormis les véhicules des miliciens qui roulaient à
toute allure en tirant en l'air. C'était le chaos, avec les pillages,
l'électricité coupée. Depuis lundi, on recommence à se déplacer plus librement,
même si on ne peut pas encore se rendre partout.
Les éléments de la
Séléka sont présents aux intersections, devant les bâtiments importants. Quant à
l'armée centrafricaine, elle n'est plus présente dans la capitale. Beaucoup de
ses membres ont quitté l'uniforme pour fuir dans les quartiers.
La ville
parvient-elle à gérer l'afflux de blessés?
Depuis les premiers combats
jusqu'à ce mercredi matin, l'hôpital communautaire, qui a reçu 95% des blessés,
en a soigné plus de 160, la plupart ayant reçu des balles. La confusion a régné
pendant des jours, il est trop tôt pour faire un bilan des victimes, mais je
pense qu'elles se comptent par dizaines.
Avez-vous eu des contacts avec
les membres de la Séléka?
MSF travaille depuis des années en
Centrafrique, nous étions donc déjà en contact avec la Séléka. Cela fait partie
de notre travail de nous présenter à tous les acteurs. Nous avons donc rencontré
les nouvelles autorités pour réaffirmer les principes de l'organisation: ceux du
libre accès aux services médicaux. Ils ne semblent pas vouloir entraver notre
travail.
Comment voyez-vous la suite des événements?
La vie va
reprendre son cours, mais à quelle vitesse? Cette question nous inquiète. Cela
va être difficile pour les ONG, les commerçants, les plus pauvres, avec tous les
pillages et les dommages causés. Si le chômage augmente encore, cela peut créer
des tensions. Notre grande peur est le manque d'eau, qui pourrait entraîner des
problèmes épidémiques, surtout dans une ville où les déplacés commencent à
revenir.
Par Anne-Laure Frémont© Copyright Le
Figaro
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