(Le Figaro 28/03/2013) REPORTAGE - Le 1er mars, à Imènas, près de Gao, une section
franco-malienne s'est retrouvée prise dans des combats très violents, à la
lisière d'une forêt où se cachaient des djihadistes et leur armes.En ce
lundi matin, Gao se méfie encore. La veille, une poignée de djihadistes, entre
quatre et six hommes bien armés, se sont infiltrés dans la cité du Nord-Est
malien. Il aura fallu plus de quatre heures et un mort à l'armée malienne pour
réduire cette petite bande de combattants suicidaires qui fuyait de maison en
maison, mitraillant tout sur son passage. Le Mujao (Mouvement unicité et jihad
en Afrique de l'Ouest), le groupe islamiste qui occupait Gao jusqu'à
l'intervention française, signait là sa troisième incursion urbaine.
Alors que, dans le grand nord, dans l'adrar des Iforas, Aqmi a mis un
genou à terre sous les coups des troupes françaises, Gao et sa région deviennent
la priorité sécuritaire des officiers. La zone, où stationne un millier
d'hommes, est renforcée. «La stratégie du Mujao est différente de celle d'Aqmi.
Al-Qaida avait choisi, au moins au début, une confrontation frontale avec nous.
Le Mujao lui a opté pour une guerre asymétrique, une guerre de harcèlement et de
guérilla», souligne le général Bernard Barrera, le chef des opérations au
Mali.
À Gao et dans les villages des alentours, profitant des cachettes
offertes par les arbres de cette brousse sèche, le Mujao n'a jamais vraiment
lâché prise. Depuis la fin février, les accrochages s'y multiplient, presque
quotidiens, autour de Bourem, Djebok ou Gao. Chaque fois l'histoire est la même:
un groupe de quelques djihadistes est débusqué puis «traité».
Mais rien
jusqu'alors n'avait vraiment préparé les militaires français à la bataille
Imènas. «C'était un scénario qui avait été planifié», reprend le colonel Bruno
Bert. Le 1er mars, à la tête d'une colonne de 200 hommes et de 16 blindés du 92e
régiment d'infanterie (RI) de Clermont-Ferrand, appuyés par autant de soldats
maliens, l'officier s'approche d'Imènas à l'aube. Trois jours que la troupe
ratisse la région, dans un calme relatif. Imènas est le dernier objectif. Ce
gros village, signalé par les renseignements comme un possible site de transit
de l'ennemi, doit être fouillé. Quelques djihadistes, surpris, tentent une vague
résistance, puis préfèrent fuir. Le plan est mis en place: le capitaine
Jean-Baptiste place ses véhicules pour assiéger la bourgade et l'armée malienne
entreprend de visiter les maisons. Imènas se révèle sans grand intérêt. «La
population était très calme, tout se passait bien», souligne le
capitaine.
On les voyait dans les yeux
Le
capitaine Jean-Baptiste
Avant le départ, les militaires se décident néanmoins
à vérifier les alentours, une forêt touffue, d'aspect innocent sous la chaleur.
La section envoyée pour cette mission n'atteindra pas le sous-bois. «Ils ont
tout de suite été pris sous un feu extrêmement intense et violent», rapporte le
colonel Bert. Des dizaines de Gad («Groupe armé djihadiste» dans le jargon
français) se ruent hors du couvert, kalachnikov en mains. Plusieurs roquettes
RPG7 frôlent les blindés. Pris de court, les Français manœuvrent à la hâte. Le
QG mobile, un transport de troupes blindé, est presque submergé par l'ennemi.
Pour se dégager, la mitrailleuse 25 mm crache sur l'ennemi à moins de 20 mètres.
Les fantassins prennent position comme ils le peuvent, vidant leurs chargeurs.
Même les officiers doivent prendre leurs pistolets et tirer. «C'était très dur»,
commente le capitaine. «On les voyait dans les yeux.»
La colonne
française finit par se réorganiser, et prendre deux petites hauteurs qui
surplombent ce qui devenu un champ de bataille. «Il nous fallait garder
l'initiative pour ne pas subir», expliquer le jeune officier. Des hélicoptères
sont dépêchés sur place, pour pilonner les arrières du Mujao et le priver de
tout espoir d'obtenir des renforts ou de se réapprovisionner. Le combat durera
toute la journée. Par deux fois au moins, les djihadistes relanceront des
assauts insensés. Les vagues s'approchent parfois à moins de dix mètres des
fantassins français, qui encore et encore ouvrent un feu nourri.
Caches
d'armes dans la forêt
À ces souvenirs, le regard des soldats, les plus
jeunes d'abord, se perd un peu. «Ils étaient juste là. Les têtes éclataient
comme des melons», décrit l'un. Ce combat de près, qui n'a rien de virtuel, va
laisser des traces. Les Maliens, moins armés moins protégés que leurs homologues
français, sont eux aussi violemment engagés. «On tirait, on tirait et ils
revenaient encore. J'avais pris 100 balles et j'ai tout utilisé», se rappelle le
soldat Ousman, qui n'en revient pas. L'ennemi espérait profiter de la relative
faiblesse malienne pour briser l'offensive. «Les djihadistes n'étaient pas du
tout désorganisés. Ce n'était pas du suicide. Ils bougeaient. Ils ont tenté à
plusieurs reprises de nous contourner tant par la droite que par la gauche. Ils
ont combattu», analyse le colonel Bert.
Les têtes éclataient
comme des melonsCe n'est que le soir tombant que la
fusillade cesse. Le bilan côté franco-malien est vierge. «Un vrai miracle. Le
fruit de l'entraînement sans doute», assure un deuxième classe. Toute la nuit,
le 92e RI veille. Aux premières lueurs, les forces coalisées lancent l'attaque.
Cette fois, le bois tombe sans mal. Profitant de l'obscurité, les djihadistes
ont fui. Sous les arbres les Français retrouvent 51 corps abandonnés. Seuls les
blessés ont été emmenés par les islamistes.
Combien étaient-ils au plus
fort de cette bataille? «Vraisemblablement pas moins d'une centaine», estime le
colonel Bert. Au moins le double, selon un responsable des renseignements. Le
mystère des effectifs restera entier. La visite, serrée et tendue, des taillis
d'Imènas lèvera en revanche celui de la motivation des djihadistes. Sous des
bâches et branchages, dans des trous, on découvre des dizaines de caches d'armes
de tous calibres. Des postes de combats bien préparés sont aussi mis au jour. Un
arsenal qui n'étonne pas les officiers français.
Fondus dans la
population
«C'est leur stratégie. Ils cachent leurs armes et vont les
chercher quand ils veulent», rappelle le colonel Bert. Entre-temps, les
islamistes se fondent dans la population, se muant en bergers ou en artisans.
Comme en Afghanistan, l'ennemi peut donc être partout, n'ayant besoin que de
quelques heures pour surgir ou se cacher à nouveau. Chaque village peut être un
jour un Imènas. Et difficile de savoir si, dans cette guérilla des plus
classique, les civils sont les otages ou les complices du Mujao.
«L'une
des grandes différences entre la région de Gao et le reste du Mali, c'est qu'ici
les islamistes ont réussi à convaincre une partie des habitants du bien-fondé de
leur thèse. Cela fait au moins une dizaine d'années que les salafistes se sont
implantés avec succès», explique l'un des rares humanitaires à être resté en
ville au cours des derniers mois. Paris n'ignore rien de cette imprégnation. Les
morts retrouvés sur le champ de bataille étaient tous de jeunes Noirs. Des
gamins perdus recrutés sur place et qui forment aujourd'hui l'ossature du Mujao.
Alors, même si après le choc d'Imènas le Mujao s'est fait nettement plus
discret, les militaires se gardent bien de crier victoire.
Par Tanguy
Berthemet
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Figaro
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