lundi 21 juin 2010

Libye, Niger - RELATIONS LIBYE - NIGER: La dignité retrouvée de Niamey

(Le Pays 21/06/2010)
Trois ressortissants nigériens ont été exécutés le 30 mai dernier en Libye. L’affaire fait grands bruits à Niamey où les défenseurs des droits de l’homme sont montés au créneau, parallèlement aux nouvelles autorités gouvernementales qui discutent de ces exécutions avec la partie libyenne. A Tripoli, on dit avoir puni des « actes criminels ». Il existe pourtant depuis mai 2008 une convention entre les deux pays.
Elle est relative à la mise en place d’un cadre de coopération judiciaire, lequel souligne la nécessité pour le Niger et la Libye de s’accorder une entraide par requête dans toute procédure visant des infractions. S’agirait-il d’une forme de pression indirecte sur la junte ? On le sait, Kadhafi était en très bons termes avec Mamadou Tandja, le chef de l’Etat déchu du Niger. Celui-ci avait, en son temps, bénéficié de largesses de la part du colonel libyen qui avait béni le régime Tandja contre la volonté du peuple nigérien agacé par ses excès.
Khadafi faisait ainsi fi des alertes de la société civile et des récriminations des organisations sous-régionales et régionales, autant que de la communauté internationale. Des organisations remontées contre le régime en place à Niamey. Au plus fort de la crise nigérienne, le soutien du chef de l’Etat libyen avait alors redonné de la sérénité à l’ex-président Tandja, gagné par la boulimie du pouvoir. Aujourd’hui, de nouveaux maîtres règnent sur le Niger, déterminés et soucieux de leur crédibilité. Conduite par le général Salou Djibo, la junte nigérienne affiche une certaine indépendance et entend jouir de ses libertés. Si elle n’ignore pas les déconvenues du leader libyen au sein de la communauté internationale, la junte nigérienne comprend qu’il faut chercher à s’affirmer tout en ménageant les susceptibilités du remuant voisin et frère. Toutefois, elle ne saurait fermer les yeux sur les ratés de la coopération bilatérale. Aussi, l’affaire des exécutions est-elle prise très au sérieux à Niamey.
Une raison à même d’expliquer la conduite des jeunes prétoriens, c’est la pression exercée par la société civile. Vigilante et combative, elle se fait respecter et entendre au sein des instances internationales. Une réputation acquise cependant au prix de mille sacrifices si l’on se rappelle les exactions subies sous l’ex-président du Niger. Or, à Niamey, l’on trouve « inacceptable que des Libyens prennent des Nigériens comme des animaux et les exécutent, sans pour autant en informer les autorités du Niger ».
Ainsi donc, Niamey fait des pieds et des mains pour sauver la tête de ses ressortissants vivant en Libye. Cela procède peut-être du souci des dirigeants nigériens de contribuer sous une forme ou une autre à l’abolition de la peine de mort. Mais alors, que font donc les autres pays africains face aux derniers agissements du régime libyen ? Pourquoi les seules réactions de Niamey ? Pourquoi toujours ce mutisme et ce laxisme face aux frasques de Tripoli ? Force est de reconnaître que le nationalisme du guide libyen, son adhésion au courant panafricaniste, ses idées lumineuses sont toujours vivement applaudis partout sur le continent. A travers les foras, on reconnaît en lui un vrai Africain, prompt à défendre nos valeurs de souveraineté et de solidarité. Les apparitions de Kadhafi dans les capitales africaines drainent des foules immenses. Des gens de toutes les conditions semblent ouvertement aduler le leader libyen autant pour avoir tiré son pays de la misère que pour son outrecuidance face à l’Occident, suffisant, arrogant et décidé à perpétuer sa tutelle sur le continent.
Par ailleurs, nul n’ignore la part importante des investissements libyens en Afrique sub-saharienne. Tous les secteurs d’activité sont concernés. En plus du soutien accordé personnellement aux dirigeants africains, le chef de la Jamahiriya libyenne populaire et socialiste finance parfois jusqu’au budget national de pays incapables de payer le salaire des fonctionnaires. Une intervention qui fait de certains dirigeants des vassaux et du colonel un véritable suzerain. De quoi l’inciter à peser de tout son poids sur les politiques intérieures des Etats qu’il soutient. On en arrive alors à déplorer que Kadhafi en fasse trop. Mais qui est responsable d’une telle situation, sinon la classe politique elle-même ? Comme la Libye, l’Afrique sub-saharienne est jalouse de son indépendance et de sa respectabilité. Elle récusera donc tant qu’il le faudra au colonel libyen et à qui que ce soit le droit de trucider ses ressortissants. C’est dire qu’il faut dépasser les sursauts d’orgueil de certains chefs d’Etats africains qui, excédés, finissent par prendre leur distance vis-à-vis de Tripoli. Les Africains n’ont pas lutté contre le colonialisme et l’impérialisme pour voir se substituer à eux un autre hôte indésirable ! A Kadhafi de le comprendre et de traiter non avec mépris mais avec bienveillance les Africains qui ont opté de séjourner chez lui. Aux gouvernants africains de toujours réagir et vite aux excès de Kadhafi, pour éviter la tendance à la vassalisation du continent. Dans ce sens, la réaction nigérienne suite à l’exécution de trois citoyens de ce pays, mérite d’être soutenue. Car la question se pose de savoir s’ils ont eu droit à un procès régulier, s’ils ont réellement pu bénéficier d’assistance comme le prévoient les conventions internationales. Ne pas s’en préoccuper, c’est sacrifier la vie de tous ceux qui végètent dans les geôles libyennes pour un rien. A la réaction de la junte nigérienne doit s’ajouter un concert de protestations venues des quatre coins du continent pour exprimer l’indignation de toute l’Afrique. Où sont donc les dirigeants de l’Afrique sub-saharienne ? N’est-il pas temps de profiter d’un sommet de l’Union africaine (UA) pour évoquer les questions qui fâchent avec le président Kadhafi ? Muammar Kadhafi doit savoir que pour remporter le leadership sur ce continent, il lui faudra d’abord gagner les cœurs des peuples qui l’habitent.

"Le Pays"
© Copyright Le Pays

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire