mardi 21 février 2012

Sénégal - Dans les rues de Dakar, l'opposition s'organise de mieux en mieux

(Huffingtonpost.fr 21/02/2012)
A quelques jours du premier tour des élections, la tension dans les rues de Dakar et dans les autres villes du pays ne cesse de croître. Alors que le président sortant, Abdoulaye Wade, brigue un troisième mandat, l'opposition milite pour le retrait de la candidature très discutée du "Vieux".
Tel un diesel, le mouvement de l'opposition a mis du temps à s'échauffer, faute de gens prêts à descendre dans la rue. Les rassemblements devenus quotidiens avaient lieu depuis deux semaines sur la place de l'Obélisque. Jusqu'à vendredi dernier, les manifestants n'avaient pas réussi à atteindre la place de l'Indépendance au cœur du quartier du Plateau, non loin du palais présidentiel. Selon moi, l'endroit stratégique où il faut se faire entendre. Préparées, les forces de l'ordre étaient assez nombreuses pour contenir les foules agitées et bloquer les rues stratégiques du Plateau, au bout de la presqu'île.
Au début j'ai cru, comme beaucoup, que le mouvement de l'opposition allait s'essouffler rapidement à force d'essuyer les échecs, d'être au pied du mur. Plusieurs fois, j'ai entendu: "De toute façon, Wade repassera avec ou sans fraude, alors à quoi bon?". Comme si tout le monde connaissait déjà le dénouement. Une sorte de fatalité ancrée dans l'esprit des Sénégalais. De toute façon, "qui pourrait bien prendre sa place?", se demandent-ils. En face, les candidats sont trop nombreux pour se démarquer. Je crois que c'est celui qui fera le cortège le plus bruyant et qui s'exposera sur les affiches les plus grandes qui grapillera le plus de voix. Sur ce plan, Wade et son slogan "Celui qui rassure" est gagnant... On ne compte plus le nombre de ses affiches sur le bord des routes. D'ailleurs, celle de 60 mètres de long sur 5 de haut (!) sur la corniche de Dakar est gardée jour et nuit par une dizaine de gardiens de peur qu'elle ne soit vandalisée, comme bien d'autres en ville.
Les Sénégalais, pour la plupart, gardent la tête sur les épaules. S'il est certain qu'à Dakar le message est clair: "Y'en a marre" (nom d'un mouvement de l'opposition), il l'est un peu moins dans les campagnes où les populations sont plus sensibles aux cortèges présidentiels défilant les uns après les autres.
Depuis quelques jours, l'agitation s'amplifie, malgré l'interdiction par le gouvernement des marches et manifestations à Dakar. Un argument sécuritaire qui est vu par certains comme une tentative de trouble de la campagne des opposants et une censure de la voix de la rue.
Vendredi dernier, le 17 février, les manifestants ont enfin réussi à prendre le dessus et à envahir la place de l'Indépendance. Depuis, les affrontements sont passés à la vitesse supérieure et les forces de l'ordre n'hésitent plus à arroser les récalcitrants à coup de grenades lacrymogènes ou de balles en caoutchouc et de charger la foule avec leurs pickups. Ce jour-là, la police a dérapé en tirant des lacrymos à l'intérieur d'une mosquée remplie de fidèles... Le lendemain, les excuses du ministère de l'Intérieur n'ont pas suffi à calmer la haine grandissante envers les forces de l'ordre.
Travaillant à deux pas de cette fameuse place de l'Indépendance que les opposants voudraient transformer en place Tahrir, j'ai assisté aux affrontements du vendredi. Quelle terrible sensation de voir arriver sur soi des grenades et voir les gens courir dans tous les sens pour se protéger. Depuis, mon entreprise ferme, dès lors qu'une manifestation est prévue dans l'après-midi de peur que nous soyons pris au piège si les choses tournaient mal.
A Dakar, les heurts sont assez localisés et ponctuels. Mais, il est maintenant assez difficile de se déplacer en toute sécurité à certains horaires, en fin d'après-midi notamment. Rentrer à la maison devient parfois un mauvais jeu de piste. Entre les barrages, feux de pneus et jets de toutes sortes, la peur de se retrouver au milieu d'une émeute est bien réelle. Dans ces moments de tension, la circulation est faible et seuls quelques taxis osent continuer leur travail, c'est le moment pour eux de faire grimper les prix à un point déraisonnable. Dans un souci de sécurité, certaines ambassades bombardent chaque jour leurs ressortissants de SMS pour communiquer sur les quartiers à éviter.
Certains jours, la fumée noire des feux de fortune s'élevant dans le ciel çà et là au-dessus de la capitale et sa banlieue donnent l'impression d'un grand brasier, sans être l'apocalypse non plus (nous sommes encore très loin de la situation en Syrie). Le matin, les rues portent encore quelques stigmates de la veille: pierres, restes de barricade, carcasses de pneus brûlés, vitres cassées... Mais tout disparaît comme par magie dans la journée.
Presque à court de munition et de forces, les policiers se sont retrouvés obligés de riposter à leur tour avec des pierres glanées dans la rue, comme si l'opposition commençait à gagner du terrain. Comme si la vitrine démocratique de l'Afrique était en train de se briser... Mais c'est ce dimanche que l'opposition pourra montrer sa conviction à travers les urnes. Ce qui est sûr, c'est que Wade sera présent au second tour. En revanche, s'il obtient la majorité, nul doute que l'opposition contestera les résultats, et la situation pourrait être sans égale dans l'histoire du Sénégal.

Charles-Henri Thoquenne.
Expatrié français et blogueur, vivant à Dakar
Publication: 21/02/2012 06:00

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