(Le Pays 16/06/2010)
On a bien frisé l’incident diplomatique, à Cotonou, lors de la récente visite du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, au Bénin. Une sérieuse pomme de discorde opposait le gouvernement de Yayi Boni à l’ensemble de l’opposition béninoise. Alors que le premier ne voulait pas du tout voir la coalition des opposants reçue par leur illustre hôte commun, celle-ci tenait mordicus à rencontrer le premier fonctionnaire des Nations unies.
Et là-dessus, elle se montra inflexible, au point de menacer de boycott le message que Ban Ki Moon devait délivrer à l’Assemblée nationale béninoise. Le forcing d’ailleurs s’avéra payant puisqu’au final, le programme du Secrétaire général de l’ONU subira une modification de taille lui permettant de recevoir la mouvance de l’opposition béninoise dans son ensemble, dans un grand hôtel de la capitale.
Mais pourquoi, diable, Yayi Boni et son équipe gouvernementale ne voyaient-ils pas d’un bon œil cette entrevue entre Ban Ki Moon et l’opposition béninoise ? On peut sans doute en deviner aisément les raisons. Généralement, en Afrique, on veut que le linge sale se lave en famille. Cette maxime est d’ailleurs et fort malheureusement un solide prétexte pour "cacher" certaines réalités aux hôtes de marque, quitte à les forcer à repartir d’où ils sont venus avec une idée incomplète, partielle et bien fausse de ces pays qu’ils sont venus visiter.
Qu’à cela ne tienne. Au moins l’honneur est sauf. Les pays africains sont coutumiers des faits : des villes ont été "balayées", débarrassées des fous et mendiants qui arpentent les artères de ses quartiers, en temps normal, au motif qu’un chef d’Etat occidental y venait. Cela s’est déjà vu. Tout comme ce n’est pas vraiment la toute première fois qu’un gouvernement africain tente de s’accaparer l’agenda entier d’un hôte de marque, dans le seul but d’éviter que l’opposition ait voix au chapitre. Fort heureusement, la coalition béninoise ne s’en sera pas laissée conter.
A vrai dire, cela étonne vraiment de savoir que l’affaire se passe au Bénin. Car la chose jure d’avec la tradition démocratique désormais établie dans ce petit pays ouest-africain dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est l’un des plus sérieux laboratoires de la démocratie en terre africaine. A juste titre d’ailleurs. Car, en la matière, peu de pays du continent noir sont vraiment en mesure de se prévaloir de disposer de l’impressionnant palmarès béninois : sa première conférence nationale, il la tint déjà en 1991, et depuis, réussit la prouesse d’organiser et de réussir quatre élections présidentielles, cinq législatives et deux locales. On excusera du peu. Et Ban Ki Moon a bien raison de dire que ce pays est "un vétéran du pluralisme politique".
Et c’est bien la raison qui fait croire que dans cette affaire, Yayi Boni s’est fourvoyé et s’est laissé aller à un malheureux acte manqué. Et si d’aventure il avait cru pouvoir museler la coalition de son opposition en lui refusant de rencontrer le SG des Nations unies, il aurait dû se rendre compte dès le départ qu’il aurait tout faux. L’opposition de son pays, et c’est maintenant une tradition désormais bien établie, ne s’est pas fait un nom dans l’habitude d’avaler des couleuvres, ni dans celle de se laisser facilement manipuler. Et si preuve il fallait, elle est bel et bien là : la coalition béninoise a finalement rencontré Ban Ki Moon et la question qui fâche le gouvernement a été abordée, aussi sec. Car, au final, toutes les gesticulations du pouvoir avaient pour ambition d’éviter que le dossier brûlant de la Lépi (la liste électorale permanente informatisée) ne soit abordé en présence du premier fonctionnaire des Nations unies. Au final, elle le sera, par une opposition ragaillardie par son bon droit.
Avec juste raison d’ailleurs. Car il n’est simplement pas normal que ces hôtes de marque repartent des pays africains avec en tête le seul son de cloche que constitue la version des dirigeants du pays sur les affaires de la nation. Et puis, l’opposition béninoise voit juste en faisant de la question du fichier électoral la mère de toutes les batailles. L’expérience a maintes fois démontré que sous nos tropiques, cet instrument d’une importance capitale pour la réalisation de toute élection, est plus que souvent le cheval de Troie qui introduit toutes les irrégularités et tous les vices qui spolient et décrédibilisent référendums et scrutins. Ce qui met le feu aux poudres et ensanglante nations et contrées entières. Les exemples en la matière sont légion en terre africaine. Alors pourquoi ne pas discuter de pareille question devant l’"étranger" ? Bien au contraire, on devrait se réjouir de pouvoir le faire en présence d’un hôte de la trame de Ban Ki Moon, qui, pour le domaine abordé, se trouve en terrain connu.
L’incident aurait pu atteindre des proportions plus graves s’il s’était passé ailleurs, dans un autre pays. Heureusement, on est au Bénin et la résolution pacifique et consensuelle du conflit prouve une fois de plus que la réputation démocratique de ce pays n’est pas du tout usurpée. Pourvu d’ailleurs qu’elle continue de s’affirmer. Le bon exemple est contagieux, dit-on, et en Afrique, existent des zones sombres qui constituent autant de plaies démocratiques.
Le Bénin à l’heure actuelle se trouve en pleins préparatifs pour la tenue d’élections conjointes cumulant présidentielle et législatives, l’année prochaine. On lui souhaite de les réussir, tout simplement. Pour sa nation, mais sans doute pour aider à guérir des zones africaines frappées d’un mal qui sème frayeur et désolation : celui du déficit sérieux de démocratie, de justice et de liberté.
"Le Pays"
© Copyright Le Pays
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire