lundi 22 février 2010

Le salaire d’un dictateur n'est-il pas le coup d’État?

(L'Indépendant (cf) 22/02/2010)
L’armée nigérienne conduite par le chef d'escadron Salou Djibo a déposé jeudi en début d’après midi le président Mamadou Tandja. Les putschistes ont annoncé la suspension de la Constitution et la dissolution de toutes les institutions, remplacées par un Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSDR). Ce coup d’État militaire met donc un terme à plus d’une année de crise politique qui a mis à mal la cohésion nationale et l’unité du Niger.
Inutile de rappeler que Mamadou Tandja dont le second mandat devrait en principe s’achever en décembre dernier, avait cru devoir changer la Constitution de son pays pour se maintenir au pouvoir contre la volonté de l’ensemble de la classe politique nigérienne, y compris certaines personnalités de son propre camp. Après un bras de fer avec l'Assemblée nationale et la Cour constitutionnelle, il dissout ces deux institutions et organise un référendum pour faire approuver son maintien au pouvoir durant trois ans, et plus tard la possibilité de se présenter aux élections organisées dans le cadre d'une sixième République ainsi instaurée.
Le Colonel Tandja a fini par faire l’unanimité contre lui. Même le voisin nigérian avec son passé putschiste n’a pas apprécié les manœuvres de son voisin francophone. Le désormais ancien président nigérien, qui s’est déjà illustré par l'arrestation arbitraire et la détention pendant plusieurs mois de notre confrère Moussa Kaka, a en quelque sorte réuni toutes les conditions objectives de son renversement. Autrement dit, les militaires qui l’ont renversé hier n’ont pas eu besoin de se creuser la tête pour chercher les justifications valables à leur coup : la restauration de la démocratie mise à rude épreuve par un assoiffé du pouvoir.
L’exemple à suivre ?
Comment ne pas faire un rapport avec le cas nigérien lorsqu’on est Centrafricain ? Comment ne pas murmurer, susurrer, voire même suggérer à la grande muette centrafricaine de suivre l’exemple de sa sœur nigérienne même quand on est opposé à toutes formes de violence en politique ?
Car, la situation de l’armée centrafricaine est à l’image du pays : inexistante. Non pas qu’il n’existe pas de bons soldats valides, capables de défendre la patrie mais parce que l’armée jadis apolitique, républicaine, n’est plus que l’ombre d’elle-même, politisée et clanisée à outrance. Le président de la République, pourtant issue de cette armée, l’a inoculé le virus du tribalisme.
En 7 ans de règne, François Bozizé, autoproclamé général d’Armée, a battu les records négatifs du népotisme. En peu de temps, la plupart de ses rejetons sont tous devenus des officiers de notre armée nationale : les lieutenants Kévin, Téddy, Rodrigues, et Franklin, tous fabriqués par papa. À cette liste, il faut également ajouter le capitaine Papy Bozizé, commandant de la SRI, la police politique son père.
Actuellement, même étant en France semble-t-il pour une formation, le fils Bozizé n’a toujours pas de remplaçant. C’est de Tours où il vit désormais avec sa famille qu’il dirige son service banguissois. L’exemple caricatural est celui du premier d’entre eux, Francis, non moins ministre délégué à la Défense nationale, qui est passé, comme le dit si bien une expression de l’armée, du berceau de sa mère, au grade de Colonel des FACA (Forces armées centrafricaines). Celui-ci s’apprête d’ailleurs à partir en école de guerre sans préalablement passer par une académie militaire de base.
L’objectif de cette pantalonnade paternelle est de faire du fils, un général, en vue de la prochaine succession. Parce qu’on raconte dans ce qui reste de l’armée centrafricaine que Francis Bozizé est devenu Colonel en réponse à l’attitude de l’actuel chef d’état major adjoint de l’armée, le Colonel Ludovic Ngaïfei, qui avait pris le malin plaisir de contester les choix tactiques de son ministre en lui rappelant son statut de civil.
Aujourd’hui, la frustration au sein de notre armée est palpable depuis la mise à la retraite forcée d’un certain nombre d’officiers valides, formés à prix d’or par le peuple centrafricain. Ceux-ci ont le tort de ne pas appartenir à la famille régnante et ne s’appelle pas Bozizé, Ndoutingaï, Namfei, Semdiro, Ngaïkosset, Kodongaï, Sérékoessé et autres Feïganazoui.
C’est justement cette frustration qui conduira un jour ou l’autre au mécontentement, détonateur d’une contestation. L’armée est certes la grande muette mais elle s’exprime souvent à coup de kalachnikov. François Bozizé le sait mieux que quiconque pour avoir lui-même inoculé le virus des coups d’État aux troupes.
On savait que le président centrafricain passait ses nuits dans ses véhiculent ou chez ses nombreuses maitresses par crainte d’un coup foireux. Mais on nous signale que depuis le décès de son « frères d’armes » André Kolingba, François Bozizé a vaincu son anxiété et dort sur ses deux lauriers. Gageons cependant qu’il ne sera pas lui aussi gagné par la maladie des militaires qui, l’ivresse du pouvoir aidant, s’enferment souvent dans la suffisance en croyant que c’est un droit divin de confisquer le pouvoir.
En persistant dans sa logique du tripatouillage des prochaines élections, François Bozizé est-il à l’abri d’une action comme celle du Niger ? Rien n’est moins sûr. Surtout que le coup d’État est père de la Démocratie. Dans le sens du père protecteur et garde-fou. Nous pensons pour notre part que le coup d’État est en politique ce que la chirurgie est à la médecine : une solution extrême pour préserver la vie menacée par la mort. Le cas nigérien est une parfaite illustration. On a là des militaires « restaurateurs » de la démocratie ou se présentant comme tels et un président élu au suffrage universel qui s’est transformé en fossoyeur de l’État de droit et des institutions républicaines. Disons-le tout net, le salaire d’un dictateur réglant les différends politiques par le dépeçage de ces adversaires, reste et demeure le coup d’État.

Vendredi 19 Février 2010
Adrien Poussou © Copyright L'Indépendant (cf)

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