mardi 12 mars 2013

Kenya - Uhuru Kenyatta, héritier fortuné et président inculpé

(Le Temps.ch 12/03/2013) Le nouveau président a été élu en dépit d’un procès à venir à la CPI. Mais son principal opposant, Raila Odinga, qui argue de fraudes massives, veut saisir la Cour suprême
«Les choix ont des conséquences», avait lâché Johnnie Carson, le secrétaire d’Etat adjoint aux Affaires africaines des Etats-Unis, à quelques journalistes début février. Le choix qu’ont fait les électeurs kényans, en désignant le 4 mars d’une très courte avance (50,07% des suffrages) Uhuru Kenyatta à la présidence de leur pays, a déjà au moins un effet remarquable. Celui de susciter l’embarras des capitales occidentales, dont les communiqués publiés depuis samedi dernier, date de la proclamation officielle du résultat, ne congratulent pas tant le nouvel élu que le peuple de la principale puissance d’Afrique de l’Est pour avoir su se rendre pacifiquement aux urnes, cinq années après les lendemains meurtriers du précédent scrutin.
S’il a tout de même été chaleureusement félicité par Pékin et ses voisins d’Afrique, à coup sûr Uhuru ­Kenyatta, 51 ans, n’était pas «le» candidat rêvé pour Washington, Paris, Londres ou Berne. D’ailleurs, au ­Kenya, la mise en garde de Johnnie Carson avait sonné comme une recommandation, à peine voilée, à ne pas voter pour ce prétendant, inculpé par la Cour pénale internationale (CPI) de crimes contre l’humanité pour sa participation supposée aux violences post-électorales de 2007-2008.
La perspective de son procès, qui doit débuter à La Haye le 9 juillet prochain, aurait dû constituer la principale faiblesse de cet homme fort des Kikuyus (le principal groupe ethnique au Kenya, avec plus de 20% de la population). Mais aujourd’hui, il apparaît aux analystes qu’en se posant en héraut d’une souveraineté kényane rudoyée par «des pouvoirs étrangers», accusés d’instrumentaliser la CPI, et en ralliant à sa candidature pour le poste de vice-président William Ruto, le leader de l’ethnie kalenjin, lui aussi inculpé par la CPI, Uhuru Kenyatta a réussi à transformer le handicap en avantage.
Il y est d’autant mieux parvenu qu’il avait d’autres atouts dans sa manche pour mener campagne à la tête de sa coalition Jubilee. L’homme au visage rond ombré par une moustache et creusé par les cernes est le fils de Jomo Kenyatta, le père fondateur du Kenya indépendant sur lequel il régna de 1964 à 1978. Elevé dans la State House, le palais présidentiel de Nairobi, Uhuru, «liberté» en swahili, a été éduqué dans les meilleures écoles kényanes avant de parfaire son cursus aux Etats-Unis. Il a hérité de son père de légende l’une des plus grosses fortunes d’Afrique, évaluée à 500 millions de dollars, édifiée sur un empire mêlant hôtels de luxe, banque, compagnie aérienne et de propriétés foncières. «Je suis qui je suis, je ne peux me renier», répliquait-il avec décontraction fin janvier à une journaliste d’Al-Jazira qui lui faisait remarquer que son parcours devait tout à ses ascendances familiales. De fait, les portes de la politique se sont ouvertes à ce père de trois enfants dès les années 1990: responsable d’une branche régionale du parti de son père, la KANU, en 1997, il accède au parlement en 2001 et devient, en 2002, le poulain du président sortant Daniel Arap Moi. Il est largement défait, mais accède, en 2008, aux plus hautes sphères du gouvernement en devenant vice-premier ministre et ministre des Finances à la suite de l’accord de partage du pouvoir qui mit fin aux violences post-électorales.
En 2010, alors que l’hypothèse de sa candidature présidentielle prenait corps, un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks dépeignait en ces termes ce twitteur invétéré: «Il est intelligent, charmant et même charismatique», mais «il boit trop et n’est pas un gros travailleur». A ceux qui objectent que son vice-président et lui ne pourront administrer le pays en étant jugé à La Haye, celui qui prône aujourd’hui «l’unité des communautés kényanes» assure qu’il ne se défilera pas. Et que la solidité des institutions kényanes palliera ses éventuelles absences. Mais il lui reste encore à être formellement investi. Arguant «d’irrégularités massives», son principal opposant, Raila Odinga, a promis de saisir la Cour suprême, qui aura alors deux semaines pour entériner le résultat, requérir un recomptage, ou même ordonner un nouveau vote.

Angélique Mounier-Kuhn

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