dimanche 10 mars 2013

A Djibouti, le pouvoir tente d'étouffer la contestation

(Le Monde 09/03/2013) Le cycle meurtrier de répression contre l'opposition à Djibouti aura-t-il raison d'une contestation qui se réveille à nouveau contre le président Ismaël Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999 ? Le régime se donne en tout cas les moyens d'y parvenir. Deux semaines après la victoire contestée du parti présidentiel aux élections législatives, le bilan des morts et des arrestations s'alourdit chaque jour.
La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) avait déjà identifié, jeudi 7 mars, "huit personnes tuées par balles par la police durant les manifestations ou les regroupements d'opposants" depuis l'annonce des résultats le 25 février. "En plus, 850 personnes sont incarcérées au centre de rétention de Magad et 82 autres, déjà condamnées ou en attente de leur jugement, sont incarcérées à la prison centrale de Gabode dans la capitale, sans assistance médicale ni avocat", explique Florent Geel, responsable Afrique à la FIDH.
Parmi elles, figure depuis mercredi le principal porte-parole de l'opposition rassemblée sous le label de l'Union pour le salut national (USN), Daher Ahmed Farah. Ce Belgo-Djiboutien rentré le 17 janvier de son exil bruxellois avait été arrêté chez lui, lundi, où il était maintenu en résidence surveillée. Dans un courriel transmis avant son arrestation, il disait s'attendre à être accusé "d'intelligence avec une puissance étrangère et atteinte à la sécurité nationale". Quelques jours auparavant, trois cheikhs – Abdourahman Barkat God, Souleiman Béchir et Guirreh Medal – membres du MoDel – un parti islamiste modéré que l'on dit proche des Frères musulmans égyptiens – avaient eux aussi été arrêtés.
RÉFLEXES AUTOCRATIQUES
Ce bilan demeure provisoire. "Les familles n'osent pas déclarer leurs morts ou amener leurs blessés à l'hôpital où la police arrête les personnes s'y faisant soigner", rapporte un Djiboutien. Le ministère français des affaires étrangères s'est dit " préoccupé par les informations faisant état d'arrestations de membres de l'opposition, de trois dignitaires religieux et par les débordements survenus lors de manifestations".
La colère de l'opposition et de ses militants a éclaté le 25 février à l'annonce des résultats des législatives qui accordaient la victoire à l'Union de la majorité présidentielle (UMP) d'Ismaël Omar Guelleh dans les six provinces du pays, dont la capitale pourtant tenue par l'opposition et où vivent 600 000 des 800 000 habitants de ce petit Etat de la Corne de l'Afrique baigné par l'océan Indien.
Pour la FIDH, cette répression "est symptomatique d'un pouvoir qui a toujours cherché à réduire au silence toute critique contre sa gouvernance". Ce n'est pas nouveau. En 2011 déjà, des manifestations avaient été réprimées dans le sang. Dans la foulée des "printemps arabes", les gens protestaient alors contre la modification de la Constitution qui allait permettre au président Guelleh (65 ans), élu une première fois en 1999, de remporter un troisième mandat. L'opposition n'avait pas présenté de candidat estimant que les garanties d'un scrutin démocratique n'étaient pas suffisantes.
CHAOS
Aux yeux des opposants, la lecture du CV d'Ismaël Omar Guelleh, dit "IOG", suffit à expliquer ses réflexes autocratiques. "IOG" est un ancien chef de la sécurité. Mais surtout, dans un pays régi par les alliances tribales, "IOG" n'est autre que le neveu d'Hassan Gouled Aptidon, le premier président de Djibouti après l'indépendance en 1977 de cette ancienne colonie française, auquel son neveu succéda en 1999. "Les gens en ont marre d'être dirigés depuis trente-cinq ans par la même famille, ils veulent un minimum de démocratie", explique Abdourahman Boreh, un homme d'affaires djiboutien exilé, conseiller du président avant de tomber en disgrâce, et qui avait envisagé de se présenter contre lui en 2011 avant que l'opposition ne boycotte le scrutin. " Il ne comprend pas qu'il doit faire des concessions : accorder une place à l'opposition au Parlement, et organiser une présidentielle libre en 2016", ajoute-t-il. Abdourahman Boreh attire l'attention de la communauté internationale sur les risques de voir Djibouti sombrer dans un chaos comparable à la Somalie voisine. Un message qui s'adresse principalement aux Etats-Unis et à la France, qui disposent à Djibouti de bases militaires permanentes stratégiques dans leurs guerres contre le terrorisme en Afrique et la lutte contre la piraterie. "Cela explique peut-être pourquoi on ne les entend pas beaucoup", glisse M. Boreh.

Par Christophe Châtelot

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