(Le Monde 09/03/2013) Le cycle meurtrier de répression contre l'opposition à
Djibouti aura-t-il raison d'une contestation qui se réveille à nouveau contre le
président Ismaël Omar Guelleh, au pouvoir depuis 1999 ? Le régime se donne en
tout cas les moyens d'y parvenir. Deux semaines après la victoire contestée du
parti présidentiel aux élections législatives, le bilan des morts et des
arrestations s'alourdit chaque jour.
La Fédération internationale des
ligues des droits de l'homme (FIDH) avait déjà identifié, jeudi 7 mars, "huit
personnes tuées par balles par la police durant les manifestations ou les
regroupements d'opposants" depuis l'annonce des résultats le 25 février. "En
plus, 850 personnes sont incarcérées au centre de rétention de Magad et 82
autres, déjà condamnées ou en attente de leur jugement, sont incarcérées à la
prison centrale de Gabode dans la capitale, sans assistance médicale ni avocat",
explique Florent Geel, responsable Afrique à la FIDH.
Parmi
elles, figure depuis mercredi le principal porte-parole de l'opposition
rassemblée sous le label de l'Union pour le salut national (USN), Daher Ahmed
Farah. Ce Belgo-Djiboutien rentré le 17 janvier de son exil bruxellois avait été
arrêté chez lui, lundi, où il était maintenu en résidence surveillée. Dans un
courriel transmis avant son arrestation, il disait s'attendre à être accusé
"d'intelligence avec une puissance étrangère et atteinte à la sécurité
nationale". Quelques jours auparavant, trois cheikhs – Abdourahman Barkat God,
Souleiman Béchir et Guirreh Medal – membres du MoDel – un parti islamiste modéré
que l'on dit proche des Frères musulmans égyptiens – avaient eux aussi été
arrêtés.
RÉFLEXES AUTOCRATIQUES
Ce bilan demeure provisoire. "Les
familles n'osent pas déclarer leurs morts ou amener leurs blessés à l'hôpital où
la police arrête les personnes s'y faisant soigner", rapporte un Djiboutien. Le
ministère français des affaires étrangères s'est dit " préoccupé par les
informations faisant état d'arrestations de membres de l'opposition, de trois
dignitaires religieux et par les débordements survenus lors de
manifestations".
La colère de l'opposition et de ses militants a éclaté
le 25 février à l'annonce des résultats des législatives qui accordaient la
victoire à l'Union de la majorité présidentielle (UMP) d'Ismaël Omar Guelleh
dans les six provinces du pays, dont la capitale pourtant tenue par l'opposition
et où vivent 600 000 des 800 000 habitants de ce petit Etat de la Corne de
l'Afrique baigné par l'océan Indien.
Pour la FIDH, cette répression "est
symptomatique d'un pouvoir qui a toujours cherché à réduire au silence toute
critique contre sa gouvernance". Ce n'est pas nouveau. En 2011 déjà, des
manifestations avaient été réprimées dans le sang. Dans la foulée des "printemps
arabes", les gens protestaient alors contre la modification de la Constitution
qui allait permettre au président Guelleh (65 ans), élu une première fois en
1999, de remporter un troisième mandat. L'opposition n'avait pas présenté de
candidat estimant que les garanties d'un scrutin démocratique n'étaient pas
suffisantes.
CHAOS
Aux yeux des opposants, la lecture du CV
d'Ismaël Omar Guelleh, dit "IOG", suffit à expliquer ses réflexes autocratiques.
"IOG" est un ancien chef de la sécurité. Mais surtout, dans un pays régi par les
alliances tribales, "IOG" n'est autre que le neveu d'Hassan Gouled Aptidon, le
premier président de Djibouti après l'indépendance en 1977 de cette ancienne
colonie française, auquel son neveu succéda en 1999. "Les gens en ont marre
d'être dirigés depuis trente-cinq ans par la même famille, ils veulent un
minimum de démocratie", explique Abdourahman Boreh, un homme d'affaires
djiboutien exilé, conseiller du président avant de tomber en disgrâce, et qui
avait envisagé de se présenter contre lui en 2011 avant que l'opposition ne
boycotte le scrutin. " Il ne comprend pas qu'il doit faire des concessions :
accorder une place à l'opposition au Parlement, et organiser une présidentielle
libre en 2016", ajoute-t-il. Abdourahman Boreh attire l'attention de la
communauté internationale sur les risques de voir Djibouti sombrer dans un chaos
comparable à la Somalie voisine. Un message qui s'adresse principalement aux
Etats-Unis et à la France, qui disposent à Djibouti de bases militaires
permanentes stratégiques dans leurs guerres contre le terrorisme en Afrique et
la lutte contre la piraterie. "Cela explique peut-être pourquoi on ne les entend
pas beaucoup", glisse M. Boreh.
Par Christophe Châtelot
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Monde
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