jeudi 21 février 2013

Mali - Les forces spéciales maliennes, laboratoire d'une armée en rénovation

(L'Express 21/02/2013) Dans une armée malienne divisée, indisciplinée et largement corrompue, les forces spéciales du Groupe Commando Volontaire font exception. Un modèle pour l'avenir, espèrent ses initiateurs.
Parmi les véhicules militaires qui patrouillent dans Gao, deux ne passent pas inaperçu. En lettres dorées, l'un est baptisé "Born to Kill"; l'autre, "G-Shock". A leur bord, des mitrailleuses et des hommes encagoulés, vêtus de T-shirts noirs portant une inscription, dans leur dos: "La patrie ou la mort, nous vaincrons".
Il s'agit du Groupe Commando Volontaire (GCV), créé il y a environ six mois. "Produit 100% malien", selon le commandant Abbas Dambélé, qui dirige la compagnie, l'idée de ces forces spéciales est venue à l'esprit du Colonel-Major Didier Dacko, après la débâcle infligée à l'armée nationale à Gao, en mars 2012. "C'est dans ces moments-là que l'on se rend compte de ses insuffisances, explique-t-il. Certes, notre armée est mal équipée. Mais nous avions surtout besoin de gens qui pouvaient intervenir de manière très souple, avec beaucoup de résultats."
Après le coup d'Etat du 22 mars 2012, beaucoup de militaires ont été mis sur la touche -parce qu'ils travaillaient avec l'ancien régime, selon eux. Pour autant, lors de l'offensive islamiste menée en octobre, les meilleurs soldats étaient unis par le désir commun de libérer le pays. C'est avec le commandant du 61ème régiment, Abbas Dambélé, avec qui il avait travaillé aux services de renseignement, que Dacko a mis en place le GCV. Tous deux ont recruté les soldats les plus motivés -ceux qui harcelaient leurs chefs pour monter à Sévaré, dernière limite avant le Nord occupé, enragés par l'inertie ambiante.
Main dans la main avec les Forces spéciales françaises
"Dans cette grande masse qu'est l'armée, tout le monde ne peut pas être mauvais, explique le colonel. Il fallait séparer le bon grain de l'ivraie." D'où la création de ce groupe, autonome et réactif, qui a travaillé main dans la main avec les Forces spéciales françaises dès leur arrivée sur le sol malien. La formation a eu lieu loin de la base de Sévaré, à Sofara, "afin d'éviter que les recrues soient contaminées". La ville-garnison est en effet perçue comme un lieu maudit, où armée et banditisme sont mariés depuis des années.
Plutôt qu'une formation militaire à proprement parler, les recrues ont reçu une forme d'éducation morale et mentale. "Ici", disent-ils, on arrive à l'heure. "Ici", aussi, on respecte son chef. "Ce n'est pas une question d'équipement mais d'abnégation, j'en ai fait un credo", raconte Abbas, qui a gardé un fragment de mortier dans la cuisse, souvenir de Konna."C'est la seule compagnie à qui l'on peut demander d'être en place, en pleine nuit, en quinze minutes, plaide Dacko. Partout ailleurs, on aura toujours quelqu'un qui cherche sa chaussure, dont les chaussettes ne sont pas sèches, qui est à l'enterrement de sa tante..."
Les GCV, eux, ne sont pas des poltrons
Une attitude qui résulte d'années de corruption, de pistons de haut en bas de l'échelle ou encore d'un manque d'éducation et de formation. Les GCV, eux, ne sont pas des poltrons. Et ils tiennent à le faire savoir. "On en a perdu quatre à Konna", raconte Abbas, fils d'officier, formé en France et aux Etats-Unis, notamment en contre-terrorisme -une rareté parmi les officiers maliens, généralement formés au Ghana, au Nigeria, au Maroc, ou encore au Sénégal.
A Gao, les CGV restent à l'écart et cultivent leur différence. Dacko, chef des opérations, reconnaît que leur existence suscite agacement et jalousie au sein de l'armée régulière, mais il souhaite qu'elle devienne aussi source d'inspiration à l'avenir. "Le Mali n'a pas une armée professionnelle, mais on ne peut pas ignorer son existence. Le GCV est venu au monde il y a peu. Mais si ce bébé grandit, les soldats y verront un motif d'espoir." De ce point de vue, ajoute Dacko, qui se dit optimiste pour son armée, "la réforme a peut-être déjà commencé".
Par Dorothée Thiénot


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