mercredi 9 janvier 2013

GABON: vers la radicalisation de la contestation ?

(Afrique Education Janvier 2013)
Lundi 24 décembre, dans la soirée, le sénat gabonais a levé l’immunité parlementaire du sénateur de Kango, Gabriel Eyeghe Ekomie, soupçonné de crime de sang, autorisant ainsi la justice de pouvoir le juger. Interpellé et détenu à la prison centrale de Libreville, Aristide Pambou Moussounda, malfrat de son état, avait, en effet, affirmé devant le juge qu’il avait obtenu la promesse d’une récompense de 20 millions de f cfa (30.000 euros) du sénateur s’il lui apportait les organes génitaux d’une jeune fille. Voilà pourquoi il avait assassiné la petite Berverly Bilemba Mouanguela, écolière de 12 ans, le 28 février 2009. La levée de l’immunité parlementaire du sénateur (qui ne fut guère chose facile certains de ses collègues cherchant par tous les moyens à le protéger), lui permettra, sans doute, de se justifier en démontrant son innocence. C’est la première fois qu’un dignitaire du régime est ainsi épinglé pour avoir commis un crime rituel. Avant, c’était ni vu ni connu alors que de tels faits défraient régulièrement l’actualité.
Deux semaines avant, samedi 8 décembre, en milieu de matinée, un cœur saignant est tombé du sac d’un homme, visiblement pressé, qui marchait sur le long de la plage faisant face au Lycée national Léon Mba de Libreville, pas loin de l’ancien Okoumé Palace. Alors qu’elle effectuait son jogging matinal, une jeune Gabonaise raconte : « Un homme est passé à côté de moi. Soudain, quelque chose est tombée du sac qu’il portait. A ce moment, son compagnon a voulu ramasser la chose tombée. Quand je me suis rapprochée pour savoir de quoi il était question, il m’a menacée. J’ai trouvé son attitude suspecte et ai appelé les policiers qui se trouvaient non loin de là ». Selon cette femme, le propriétaire du sac a fui à la vue des policiers tandis que son compagnon a tenté de récupérer l’organe (le cœur) sur le sol. Il a, finalement, été appréhendé par les policiers. Quelques instants plus tard, la procureure de la République, Sidonie-Flore Ouwé, et ses adjoints, Armel Boulé et Steeve Ndong, sont venus sur place, pour constater les faits de ce nième crime rituel. Toujours est-il que de telles enquêtes, avant, n’aboutissaient jamais. Mais depuis les instructions fermes d’Ali Bongo Ondimba, en mai dernier, pour qu’elles ne soient plus enterrées, le « makaya » (Gabonais d’en bas) reprend espoir.
Très fréquents au Gabon, les crimes rituels font partie de la vie de tous les jours. Considérés comme des faits sataniques qui relèvent de la (pure) sorcellerie, ils sont commandités par des personnes qui veulent être des « grands types » (personnes importantes dans la société), sans faire appel à leurs mérites. Pour maximiser ses chances de devenir ministre, directeur de société, député, sénateur, maire, etc., le sorcier auprès de qui on manifeste son désir de devenir un « en haut d’en haut », peut avoir des exigences les plus fantaisistes : une langue de jeune fille, le cœur d’un jeunot de vingt ans, des testicules de mulâtre, le « bangala » (pénis) d’un jumeau, etc. La liste est loin d’être exhaustive : plus on vise haut, c’est-à-dire, des fonctions élevées, plus le sacrifice à faire peut se révéler périlleux. Les cadavres sans tête, avec des bras ou des jambes coupés, quand ce ne sont pas les yeux qui ont été enlevés ou le cœur comme celui qu’on tentait de dissimuler dans un sac avant de se faire interpellé par la police, sont des faits devenus telle-ment banals au Gabon à cause de leur répétition et, sur tout, de l’impunité dont jouissent leurs commanditaires, généralement, les dignitaires de la société gabonaise.
Dans un discours prononcé le 24 novembre 2012, le secrétaire exécutif-adjoint de l’ex-Union nationale (UN), Gérard Ella Nguema, les a dénoncés avec force : « Certains de nos enfants, nos sœurs et nos filles qui, sans travail à Libreville ou Port-Gentil, ont de gros véhicules, de grandes villas, et beau-coup d’argent, mais s’habillent de couches à cause des écoulements permanents de sang, parce qu’elles ont vendu leurs organes génitaux pour faire des brochettes que mangent les gens du pouvoir et les étrangers. Dans tous les coins du pays, l’on trouve des corps sans vie dont les organes ont été enlevés pour servir de nourriture aux hommes du pouvoir et leurs complices étrangers. Certains de nos fils, qui deviennent subitement si riches, avec des véhicules coûteux et des maisons luxueuses, passent leur temps à se faire sodomiser par les hommes du pou-voir et les étrangers. Certains de nos fils meurent parce qu’ils ont couché avec des femmes qui, se servant des préservatifs recueillis, ont récolté leur sperme pour le vendre dans les réseaux du pouvoir. Ces actes-là, le dis-cours politique leur donne le joli nom de « crimes rituels » sans ressortir ce qui se cache derrière ce terme, que l’on dénonce sans rien faire. Aucun acteur n’est interpellé, personne n’est poursuivi et jugé, nul n’est condamné. Alors que les Gabonais ne peuvent plus faire des enfants sains » (fin de citation).
Pour cet hiérarque de l’ex-UN,« le peuple gabonais est en voie de disparition », ce qui expliquerait que « depuis de longues années, la population du Gabon n’arrive pas à dépasser un mil-lion cinq cent mille habitants : le taux de mortalité a augmenté, la natalité a diminué et l’espérance de vie du Gabonais est de cinquante ans environ seulement (parce que) ceci est la volonté du pouvoir, qui voudrait que nos terres soient occupées par les étrangers. (Une) vérité (qu)’on ne vous dira pas sur un plateau de télévision ».
Ancien collaborateur du patriarche Ondimba, Gérard Ella Nguema ne s’en prend pas, uniquement, au pouvoir politique qui aurait, selon lui, baissé la culotte. Les hommes de Dieu ne trou-vent pas non plus grâce à ses yeux : « L’église, toutes dénominations confondues, est la complice muette mais active de la décrépitude du Gabon. Elle est muette parce qu’elle ne dit rien pour dénoncer et inciter au combat contre ces actes maléfiques. Son exégèse et ses prédications endorment le Gabonais et tuent sa fierté car un homme qui prie et se couche affamé, inquiet parce que ne sachant pas ce que ses enfants mangeront le matin et dans quelles conditions ils iront à l’école, ne dort pas dans la paix du Seigneur ». Conclusion : « L’église est complice parce qu’elle donne l’onction et soutient de manière très ouverte ceux qui perpétuent des actes sataniques. Ils (prêtres et pasteurs) se sont appliqués à manger leur part de gâteau à la table de ceux que l’église devrait considérer comme les suppôts de Satan. Ils portent la responsabilité historique des malheurs du peuple gabonais, et l’éternel Dieu, qu’ils prêchent des lèvres, leur rendra selon leurs actes ».Quant à « l’islam que l’on dit être une religion de paix, (elle) a sa part de responsabilité dans l’embrigadement des Gabonais. Je n’en dirai pas beaucoup, mais je déplorerai l’activisme de ses marabouts dans la tentative d’assassinat de certaines personnalités par empoisonnement et fétichisme ».
Depuis le 8 décembre, la société civile, sous la houlette du sémillant Marc Ona Essangui, patron des ONG Brainforest, Publiez ce que vous payez, Ça suffit comme ça, a ouvert un registre, en sa permanence, à tous ceux qui demandent l’organisation d’une Conférence nationale souveraine. Objectif : recueillir entre 50.000 et 100.000 signataires d’un Manifeste par lequel les partisans de cette rencontre entendent contraindre le président Ali Bongo Ondimba à l’organiser, bien qu’il ait déclaré le 12 septembre qu’il ne le fera pas.
Pas très ami avec Marc Ona Essangui qu’il avait mis en prison en 2007, André Mba Obame qu’on dit être très mal en point, a senti le danger d’un leadership qui pouvait lui échapper, pour annoncer son grand retour courant janvier ou février, afin de reprendre sa lutte aux côtés de ses amis de l’UFA (Union des forces de l’alternance).
Son état de santé le lui permettra-t-il ?
« Nous ne mourons pas comme des serpents, à qui l’on donne des coups de bâtons sur la tête sans qu’ils ne puissent crier », a juré Gérard Ella Nguema qui, est allé jusqu’à en appeler aux hommes en tenue : « Aux forces de sécurité et de défense, je termine par un appel fraternel : ce que nous faisons est à l’avantage de tous les Gabonais, toutes les professions confondues. Vos corps d’armée ne doivent pas être que des machines ou des robots de répression de l’Etat. Vos épouses et les nôtres fréquentent les mêmes marchés, vos enfants et les nôtres vont dans les mêmes écoles. Si vous recevez l’ordre de tirer sur nous et que vous le fassiez, chaque fois qu’il tombera un des nôtres, souvenez-vous que vous n’habitez pas tous des casernes, mais dans les mêmes quartiers que nous. Ce n’est pas une menace, mais une interpellation ».
Gérard Ella Nguema tiendrait des paroles qui vont plus loin que sa pensée. Pour d’autres Gabonais, il est tout simplement excessif. L’expérience de l’ex-UN a fait long feu, ses dirigeants n’arrivant pas à véritablement convaincre les Gabonais de la crédibilité de leur vision qu’ils entendaient proposer aux Gabonais, ce qui explique d’ailleurs que Marc Ona Essangui, malgré lui, soit devenu l’opposant n° 1 au pouvoir en place alors qu’il affiche son appartenance à la société civile.


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