(Afrique Education Janvier 2013)
Lundi 24 décembre, dans la soirée, le sénat gabonais a levé
l’immunité parlementaire du sénateur de Kango, Gabriel Eyeghe Ekomie, soupçonné
de crime de sang, autorisant ainsi la justice de pouvoir le juger. Interpellé et
détenu à la prison centrale de Libreville, Aristide Pambou Moussounda, malfrat
de son état, avait, en effet, affirmé devant le juge qu’il avait obtenu la
promesse d’une récompense de 20 millions de f cfa (30.000 euros) du sénateur
s’il lui apportait les organes génitaux d’une jeune fille. Voilà pourquoi il
avait assassiné la petite Berverly Bilemba Mouanguela, écolière de 12 ans, le 28
février 2009. La levée de l’immunité parlementaire du sénateur (qui ne fut guère
chose facile certains de ses collègues cherchant par tous les moyens à le
protéger), lui permettra, sans doute, de se justifier en démontrant son
innocence. C’est la première fois qu’un dignitaire du régime est ainsi épinglé
pour avoir commis un crime rituel. Avant, c’était ni vu ni connu alors que de
tels faits défraient régulièrement l’actualité.
Deux semaines avant,
samedi 8 décembre, en milieu de matinée, un cœur saignant est tombé du sac d’un
homme, visiblement pressé, qui marchait sur le long de la plage faisant face au
Lycée national Léon Mba de Libreville, pas loin de l’ancien Okoumé Palace. Alors
qu’elle effectuait son jogging matinal, une jeune Gabonaise raconte : « Un homme
est passé à côté de moi. Soudain, quelque chose est tombée du sac qu’il portait.
A ce moment, son compagnon a voulu ramasser la chose tombée. Quand je me suis
rapprochée pour savoir de quoi il était question, il m’a menacée. J’ai trouvé
son attitude suspecte et ai appelé les policiers qui se trouvaient non loin de
là ». Selon cette femme, le propriétaire du sac a fui à la vue des policiers
tandis que son compagnon a tenté de récupérer l’organe (le cœur) sur le sol. Il
a, finalement, été appréhendé par les policiers. Quelques instants plus tard, la
procureure de la République, Sidonie-Flore Ouwé, et ses adjoints, Armel Boulé et
Steeve Ndong, sont venus sur place, pour constater les faits de ce nième crime
rituel. Toujours est-il que de telles enquêtes, avant, n’aboutissaient jamais.
Mais depuis les instructions fermes d’Ali Bongo Ondimba, en mai dernier, pour
qu’elles ne soient plus enterrées, le « makaya » (Gabonais d’en bas) reprend
espoir.
Très fréquents au Gabon, les crimes rituels font partie de la vie
de tous les jours. Considérés comme des faits sataniques qui relèvent de la
(pure) sorcellerie, ils sont commandités par des personnes qui veulent être des
« grands types » (personnes importantes dans la société), sans faire appel à
leurs mérites. Pour maximiser ses chances de devenir ministre, directeur de
société, député, sénateur, maire, etc., le sorcier auprès de qui on manifeste
son désir de devenir un « en haut d’en haut », peut avoir des exigences les plus
fantaisistes : une langue de jeune fille, le cœur d’un jeunot de vingt ans, des
testicules de mulâtre, le « bangala » (pénis) d’un jumeau, etc. La liste est
loin d’être exhaustive : plus on vise haut, c’est-à-dire, des fonctions élevées,
plus le sacrifice à faire peut se révéler périlleux. Les cadavres sans tête,
avec des bras ou des jambes coupés, quand ce ne sont pas les yeux qui ont été
enlevés ou le cœur comme celui qu’on tentait de dissimuler dans un sac avant de
se faire interpellé par la police, sont des faits devenus telle-ment banals au
Gabon à cause de leur répétition et, sur tout, de l’impunité dont jouissent
leurs commanditaires, généralement, les dignitaires de la société
gabonaise.
Dans un discours prononcé le 24 novembre 2012, le secrétaire
exécutif-adjoint de l’ex-Union nationale (UN), Gérard Ella Nguema, les a
dénoncés avec force : « Certains de nos enfants, nos sœurs et nos filles qui,
sans travail à Libreville ou Port-Gentil, ont de gros véhicules, de grandes
villas, et beau-coup d’argent, mais s’habillent de couches à cause des
écoulements permanents de sang, parce qu’elles ont vendu leurs organes génitaux
pour faire des brochettes que mangent les gens du pouvoir et les étrangers. Dans
tous les coins du pays, l’on trouve des corps sans vie dont les organes ont été
enlevés pour servir de nourriture aux hommes du pouvoir et leurs complices
étrangers. Certains de nos fils, qui deviennent subitement si riches, avec des
véhicules coûteux et des maisons luxueuses, passent leur temps à se faire
sodomiser par les hommes du pou-voir et les étrangers. Certains de nos fils
meurent parce qu’ils ont couché avec des femmes qui, se servant des préservatifs
recueillis, ont récolté leur sperme pour le vendre dans les réseaux du pouvoir.
Ces actes-là, le dis-cours politique leur donne le joli nom de « crimes rituels
» sans ressortir ce qui se cache derrière ce terme, que l’on dénonce sans rien
faire. Aucun acteur n’est interpellé, personne n’est poursuivi et jugé, nul
n’est condamné. Alors que les Gabonais ne peuvent plus faire des enfants sains »
(fin de citation).
Pour cet hiérarque de l’ex-UN,« le peuple gabonais est
en voie de disparition », ce qui expliquerait que « depuis de longues années, la
population du Gabon n’arrive pas à dépasser un mil-lion cinq cent mille
habitants : le taux de mortalité a augmenté, la natalité a diminué et
l’espérance de vie du Gabonais est de cinquante ans environ seulement (parce
que) ceci est la volonté du pouvoir, qui voudrait que nos terres soient occupées
par les étrangers. (Une) vérité (qu)’on ne vous dira pas sur un plateau de
télévision ».
Ancien collaborateur du patriarche Ondimba, Gérard Ella
Nguema ne s’en prend pas, uniquement, au pouvoir politique qui aurait, selon
lui, baissé la culotte. Les hommes de Dieu ne trou-vent pas non plus grâce à ses
yeux : « L’église, toutes dénominations confondues, est la complice muette mais
active de la décrépitude du Gabon. Elle est muette parce qu’elle ne dit rien
pour dénoncer et inciter au combat contre ces actes maléfiques. Son exégèse et
ses prédications endorment le Gabonais et tuent sa fierté car un homme qui prie
et se couche affamé, inquiet parce que ne sachant pas ce que ses enfants
mangeront le matin et dans quelles conditions ils iront à l’école, ne dort pas
dans la paix du Seigneur ». Conclusion : « L’église est complice parce qu’elle
donne l’onction et soutient de manière très ouverte ceux qui perpétuent des
actes sataniques. Ils (prêtres et pasteurs) se sont appliqués à manger leur part
de gâteau à la table de ceux que l’église devrait considérer comme les suppôts
de Satan. Ils portent la responsabilité historique des malheurs du peuple
gabonais, et l’éternel Dieu, qu’ils prêchent des lèvres, leur rendra selon leurs
actes ».Quant à « l’islam que l’on dit être une religion de paix, (elle) a sa
part de responsabilité dans l’embrigadement des Gabonais. Je n’en dirai pas
beaucoup, mais je déplorerai l’activisme de ses marabouts dans la tentative
d’assassinat de certaines personnalités par empoisonnement et fétichisme
».
Depuis le 8 décembre, la société civile, sous la houlette du sémillant
Marc Ona Essangui, patron des ONG Brainforest, Publiez ce que vous payez, Ça
suffit comme ça, a ouvert un registre, en sa permanence, à tous ceux qui
demandent l’organisation d’une Conférence nationale souveraine. Objectif :
recueillir entre 50.000 et 100.000 signataires d’un Manifeste par lequel les
partisans de cette rencontre entendent contraindre le président Ali Bongo
Ondimba à l’organiser, bien qu’il ait déclaré le 12 septembre qu’il ne le fera
pas.
Pas très ami avec Marc Ona Essangui qu’il avait mis en prison en
2007, André Mba Obame qu’on dit être très mal en point, a senti le danger d’un
leadership qui pouvait lui échapper, pour annoncer son grand retour courant
janvier ou février, afin de reprendre sa lutte aux côtés de ses amis de l’UFA
(Union des forces de l’alternance).
Son état de santé le lui
permettra-t-il ?
« Nous ne mourons pas comme des serpents, à qui l’on
donne des coups de bâtons sur la tête sans qu’ils ne puissent crier », a juré
Gérard Ella Nguema qui, est allé jusqu’à en appeler aux hommes en tenue : « Aux
forces de sécurité et de défense, je termine par un appel fraternel : ce que
nous faisons est à l’avantage de tous les Gabonais, toutes les professions
confondues. Vos corps d’armée ne doivent pas être que des machines ou des robots
de répression de l’Etat. Vos épouses et les nôtres fréquentent les mêmes
marchés, vos enfants et les nôtres vont dans les mêmes écoles. Si vous recevez
l’ordre de tirer sur nous et que vous le fassiez, chaque fois qu’il tombera un
des nôtres, souvenez-vous que vous n’habitez pas tous des casernes, mais dans
les mêmes quartiers que nous. Ce n’est pas une menace, mais une interpellation
».
Gérard Ella Nguema tiendrait des paroles qui vont plus loin que sa
pensée. Pour d’autres Gabonais, il est tout simplement excessif. L’expérience de
l’ex-UN a fait long feu, ses dirigeants n’arrivant pas à véritablement
convaincre les Gabonais de la crédibilité de leur vision qu’ils entendaient
proposer aux Gabonais, ce qui explique d’ailleurs que Marc Ona Essangui, malgré
lui, soit devenu l’opposant n° 1 au pouvoir en place alors qu’il affiche son
appartenance à la société civile.
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