(Le Temps.ch 15/06/2010)
A trois semaines des cérémonies du 50e anniversaire de l’indépendance de l’ex-colonie belge, le président a pris des mesures après l’assassinat du militant des droits de l’homme
Une véritable course contre la montre est engagée au Congo: contrôler d’ici au 30 juin (50e anniversaire de l’indépendance de l’ex-colonie belge) les immenses dégâts causés par l’assassinat le 2 juin de Floribert Chebeya, le président de l’ONG La Voix des sans voix, tué au sortir d’un rendez-vous au siège de la police nationale.
Tout indique que le président Joseph Kabila a pris personnellement et sans tergiverser la direction des opérations: plusieurs officiers de la police ont été mis aux arrêts, dont le chef des services spéciaux, le colonel Daniel Mukalay, qui a mis en cause son supérieur le général John Numbi, chef de la police nationale. Ce dernier a été suspendu «à titre conservatoire». En outre, satisfaction partielle a été donnée à la communauté internationale: quatre experts néerlandais, dont un médecin légiste, son assistant et un logisticien ont été acceptés vendredi à la morgue de Kinshasa pour pratiquer une autopsie. Les analyses des prélèvements se feront aux Pays-Bas.
Cet examen scientifique ne fera cependant que confirmer ce que l’on sait déjà, à savoir que le militant des droits de l’homme est mort à la suite des mauvais traitements qui lui ont été infligés. En effet, ses collègues et ses proches, autorisés à le voir à la morgue, ont relevé qu’il avait du sang sur le nez, la bouche et les oreilles et un gonflement au niveau du cou. Des constatations qui contredisent les premières déclarations de la police, qui avait affirmé que le corps ne portait pas de trace visible de violence!
Cependant, d’autres inconnues subsistent»: vivant ou mort, le chauffeur de Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, 50 ans, n’a toujours pas été retrouvé. Or ce dernier, qui travaillait avec Chebeya depuis quinze ans, attendait son patron devant le siège de la police. A-t-il été tué alors que les barbouzes déposaient le cadavre sur le siège arrière? A-t-il été liquidé et jeté dans le fleuve? Persuadée de sa mort, La Voix des sans voix exige de la police qu’elle le localise «sans délai ni tergiversation».
De plus, l’autopsie, aussi scientifique soit-elle, ne révélera rien sur les commanditaires ou les mobiles du crime. Il faudrait pour cela une enquête réellement indépendante et on peut douter de l’efficacité, sinon de la motivation des services congolais…
Epreuve de force
Dans l’attente d’informations plus précises, les uns et les autres s’efforcent désormais soit de limiter les dégâts, soit de tirer avantage de la situation. Dans le camp gouvernemental, la mobilisation est générale: le ministre de l’Intérieur, Adolphe Lumanu, est aux commandes, le procureur général de la République a été chargé de mener une enquête approfondie et le ministre des Affaires étrangères, Alexis Tambwe Mwamba, a fait savoir au corps diplomatique que ces événements n’entraveraient pas le bon déroulement des préparatifs des cérémonies du 30 juin.
C’est là précisément que le bât risque de blesser. En effet, toute l’opposition congolaise, dans le pays et à l’extérieur, semble déterminée à tirer parti de la mort de Floribert Chebeya – y compris d’anciens mobutistes que l’intéressé, en son temps, n’avait pas craint de dénoncer – et le Mouvement pour la libération du Congo (MLC) a déjà annoncé qu’il boycotterait les cérémonies du 30 juin.
Quant aux associations des droits de l’homme, elles se dirigent également vers l’épreuve de force. Alors que l’on sait que les forces de l’ordre seront «sur les dents» le jour de la commémoration de l’indépendance, le programme provisoire des cérémonies de deuil prévoit qu’un culte œcuménique sera organisé… le 30 juin, après quoi Floribert Chebeya devrait être inhumé au cimetière de la Gombe, ce qui fera monter de plusieurs crans la tension dans la capitale où l’on craindra provocations et dérapages.
Au sein de la diaspora aussi, la mobilisation s’organise: à Bruxelles déjà, le «mouvement bleu» du pasteur Moka, qui entend bien «chasser Kabila» sur le modèle de la Révolution orange en Ukraine, a organisé dimanche une messe de requiem à l’église de Laeken.
Colette Braeckman
14 juin 2010
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