(Le Figaro 12/03/2013)
Trois responsables du dossier sahélien ont été brutalement
remplacés. Une « purge » sans précédent en pleine guerre.
Le petit monde des
diplomates du Quai d'Orsay travaillant sur l'Afrique est en émoi. Sur fond de
guerre au Mali, l'éviction par Laurent Fabius, fin février, du sous-directeur en
charge de ce pays, Laurent Bigot, a «surpris et choqué», selon plusieurs sources
au ministère des Affaires étrangères. D'autant plus que cet événement est
survenu après la mise à l'écart, pour diverses raisons, de plusieurs diplomates
intervenant sur le même continent. Quelques semaines plus tôt, Jean
Félix-Paganon, représentant spécial pour le Sahel, nommé en juin 2012, a été
remplacé. Et en octobre dernier, Élisabeth Barbier, responsable depuis peu de la
Direction Afrique-Océan Indien (DAOI) du Quai d'Orsay, était évincée de son
poste pour incompatibilité d'humeur avec le ministre. Elle est désormais
ambassadeur en Afrique du Sud.
Des départs forcés qui ont été motivés
chacun par «des raisons particulières», relativise-t-on dans l'entourage de
Laurent Fabius. Ces décisions, en particulier celles concernant Bigot et
Paganon, s'inscrivent pourtant dans un contexte global où le déclenchement
anticipé des opérations militaires a intensifié les débats au ministère des
Affaires étrangères, remis en cause des équilibres internes et suscité chez les
diplomates des interrogations et des attentes sur leur rôle dans le règlement de
la crise. L'actualité malienne a bousculé le Quai d'Orsay face à des militaires
tenant le haut du pavé. Elle a aussi commencé à faire bouger - dans la douleur -
les lignes traditionnelles des modes d'action du «Département» sur le continent
africain.
Une vidéo qui
fâche
Retour sur des mots qui fâchent et des portes qui claquent.
Supprimée récemment de plusieurs sites Internet mais toujours visible sur
YouTube, une vidéo tournée en juillet 2012 montre le diplomate Laurent Bigot, à
l'époque responsable de l'Afrique de l'Ouest, tenant des propos plutôt décapants
sur le Mali. Filmé lors d'une conférence à l'Institut français des relations
internationales (Ifri), ce très bon connaisseur du terrain met les pieds dans le
plat en dénonçant notamment «une corruption gangrenant depuis de longues années
toutes les sphères jusqu'au plus haut niveau». Il évoque aussi «une démocratie
de façade» et souligne que, si «l'État malien s'est effondré sur lui-même», les
déterminants de la crise, eux, demeurent.
Des propos tenus «à titre
personnel», mais qui n'en reviennent pas moins à contester la politique menée
depuis des années vis-à-vis du Sahel. Car pour Bigot, le problème ne se limite
pas au «cas emblématique» du Mali. Le Burkina-Faso, dit-il, «est le prochain sur
la liste à risquer de s'effondrer». Autant de déclarations qui, on s'en doute,
ont suscité de fortes irritations à Bamako, à Ouagadougou et dans plusieurs
capitales de la région. «Laurent Bigot était devenu gênant», commente un
chercheur spécialisé sur l'Afrique.
Cette vidéo est l'un des éléments à
charge retenus par Laurent Fabius contre Laurent Bigot pour précipiter son
limogeage. Sollicité par Le Figaro, l'ex-sous-directeur d'Afrique occidentale a
déploré avoir été «débarqué brutalement» mais n'a pas souhaité s'exprimer. Au
Quai d'Orsay, on ne réagit pas officiellement même si, dans l'entourage du
ministre, on souligne que «le débat est sain, mais franchir la ligne rouge de la
déloyauté lorsque les décisions sont prises est inacceptable». Avant le
déclenchement de l'opération «Serval», Laurent Bigot s'était montré sceptique
sur une approche purement militaire de la crise au Sahel.
Une «task
force» pour reprendre la main
Simple mise au pas d'un haut fonctionnaire
par son ministre, plus prompt à «user de la cravache que son prédécesseur»,
comme l'affirme un diplomate? Résurgence de vieux clivages, comme ceux qui
opposent militaires et diplomates, zélotes du «sécuritaire» et partisans du
«développement»? «Tout le monde est bien conscient qu'il n'y a pas de
développement sans sécurité ni de sécurité sans développement», tempère un
collègue de Laurent Bigot. Différences d'approches, de méthodes, de réseaux?
Autant de pistes, suggérées par les diplomates eux-mêmes qui, par-delà les cas
individuels, ramènent aux arcanes des relations franco-africaines.
Depuis
son arrivée à l'Élysée, François Hollande, qui connaît peu le continent, a
affiché sa défiance à l'égard de tout ce qui pouvait évoquer, de près ou de
loin, la Françafrique. On note, par exemple, la montée en puissance aux postes
clés de spécialistes de l'Afrique de l'Est anglophone, notamment des
«swahilistes» (du nom de la culture partagée par les peuples de la côte
africaine orientale, NDLR), au détriment de l'Afrique de l'Ouest. C'est le cas
notamment de Jean-Christophe Belliard, le nouveau patron de la DAOI,
ex-ambassadeur à Madagascar, et de Laurent Viguier, en poste à Nairobi de 2003 à
2007, pressenti pour succéder à Laurent Bigot.
L'aimant Le
Drian
L'intervention militaire française au Mali a encore fait évoluer la
donne. «On est passé brusquement du préventif au curatif», résume un diplomate.
Dans le triangle décisionnel dont la pointe est à l'Élysée, la Défense a pris du
poids, politiquement et médiatiquement, par rapport aux Affaires étrangères.
Dans les longs couloirs du Quai, on soupire en voyant les caméras de télévision
comme aimantées par Jean-Yves Le Drian. «En même temps, se console un diplomate,
chacun sait que l'action armée ne permettra pas, à elle seule, de gagner la
paix». «Les vrais débats, résume une autre source, concernent la coordination de
tous les protagonistes, le lancement d'un processus politique inclusif, l'effet
d'entraînement sur l'État malien et les moyens pour que l'aide ne soit pas
déversée en vain».
Soucieux de remonter en ligne, Laurent Fabius s'est
donc attaqué au vaste chantier de l'après-guerre en réorganisant l'ordre de
bataille de ses équipes. Face à la crise multidimensionnelle du Sahel, les
structures administratives ont montré leur limite: Mali, Mauritanie, Niger,
Algérie, n'appartiennent pas aux mêmes directions du Quai. Sur le modèle
anglo-saxon, une «task force» a été mise en place. Ce groupe de travail
interministériel (Affaires étrangères, Défense, Intérieur…) réunit chaque
semaine, à des niveaux variables, des représentants de tous les intervenants sur
le dossier malien. Laurent Fabius prône aussi une diplomatie «démultipliée»
incluant, par exemple, la coopération décentralisée. Il réunira ainsi les
acteurs du dossier sahélien le 19 mars, à Lyon, autour des collectivités
territoriales, françaises et maliennes. De nouvelles pièces dans le dispositif
mis en place par le Quai pour lancer un chantier qui s'annonce long et ardu - et
pour reprendre la main.
Par Alain Barluet
Journaliste Figaro
© Copyright Le
Figaro
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