dimanche 10 mars 2013

Burkina Faso : le ras-le-bol des hommes intègres

(Les Echos 09/03/2013) Il en faut beaucoup pour que le citoyen burkinabé sorte de sa traditionnelle réserve. Connu pour être dur au mal, patient sans être soumis, et raisonnablement vertueux en comparaison de ses voisins, il semble avoir franchi depuis 2011 le seuil de tolérance qui faisait de lui jusqu’ici un personnage discret de la scène politique ouest-africaine.
Vingt-six ans de règne sans partage du Président Blaise Compaoré l’ont peut-être amené aux extrémités de 2011, qui ont vu successivement les militaires puis les enseignants et enfin le corpus des fonctionnaires manifester ouvertement contre leur précarité financière et leurs conditions de travail. Dire que le pays est pauvre est un truisme vieux de 50 ans. Préciser qu’il s’attarde dans les 10 derniers du classement établi sur 187 pays selon l’indice de Développement Humain du PNUD n’est cependant pas inutile, pas plus que de pointer du doigt les 7 millions d’habitants qui vivent plus que chichement, gagnent bien moins de 100 dollars par mois, et que l’on insulte au quotidien avec des théories à 5 fruits et 5 légumes par jour.
On comprendra mieux dès lors la recrudescence de la criminalité depuis une dizaine d’années. La jeunesse est la première concernée : moins de 30 % a été scolarisé, et 80 % des jeunes sont au chômage alors que le pays s’était distingué des décennies durant par un civisme que bien des pays occidentaux pouvaient lui envier. Pour échapper à la misère, quelques milliers d’entre eux ont tenté leur chance armes à la main, en Côte d’Ivoire, en Guinée orientale et même en Sierra Leone quand le chaos rongeait ces pays. Pour ajouter au marasme, le prix du coton, première production du PIB ne cesse de dégringoler, et des milliers d’hectares de sol cultivable ont été stérilisés par cette culture.
Là-dessus, l’or et ses mirages ont attiré des milliers de chercheurs d’emploi, non spécialisés bien entendu, dont quelques-uns ont décroché des boulots peu rémunérateurs au regard des standards européens, mais accueillis comme un peu d’eau dans le désert. Puis il y a eu cette menace venant du Mali, véhiculée par des salafistes avec lesquels les Mossis composaient par tolérance, et qui se transforme aujourd’hui en invasion. Le PNUD et le PAM estiment à environ 100 000 âmes les populations maliennes déplacées par la guerre, dont 46 000 ont pu être reçues dans les camps de Damba, Serelio, Mentao, Bobo-Dioulasso et Ouagadougou (Somgande).
Allez distinguer le bon grain de l’ivraie dans les cinquante et quelque mille qui errent dans le nord du territoire, ou dans les 50 qui arrivent quotidiennement. Tentez aussi d’expliquer aux villageois burkinabés pourquoi ces populations étrangères dans les camps sont mieux traitées qu’eux. Si encore l’armée tenait la route, la menace pourrait être contenue. Mais les salaires dérisoires des militaires et la suppression de certaines primes les ont poussés à faire entendre leur exaspération, suivis par d’autres. Cette plaie-là n’a pas cicatrisé et augure mal d’une mobilisation en masse des forces. Venant inopportunément se greffer sur le bouillonnement interne des populations, ce phénomène exogène ajoute à la précarité du pays dans l’hypothèse de troubles émanant des populations réfugiées.
En conclusion, sur ses propres ressources, le Burkina aura beaucoup de difficultés à faire face à des groupes organisés issus du déplacement des populations et déterminés à imposer leur joug à des villages, voire à des régions entières du pays. Aujourd’hui, la zone qui s’étend au nord de la ligne Dori-Djibo-Ouahigouya-Yatenga n’est plus sous le contrôle des autorités, quoi qu’elles en disent, et malgré les quelques patrouilles qui la traversent. Mais la patience des Mossis, Goumantché et Gourounsi a ses limites, et les exactions des jihadistes pourraient réveiller l’atavisme guerrier qui les a fait se distinguer lors des deux derniers conflits mondiaux.


Écrit par Ayudo

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