(Les Echos 09/03/2013) Il en faut beaucoup pour que le citoyen burkinabé sorte de
sa traditionnelle réserve. Connu pour être dur au mal, patient sans être soumis,
et raisonnablement vertueux en comparaison de ses voisins, il semble avoir
franchi depuis 2011 le seuil de tolérance qui faisait de lui jusqu’ici un
personnage discret de la scène politique ouest-africaine.
Vingt-six ans
de règne sans partage du Président Blaise Compaoré l’ont peut-être amené aux
extrémités de 2011, qui ont vu successivement les militaires puis les
enseignants et enfin le corpus des fonctionnaires manifester ouvertement contre
leur précarité financière et leurs conditions de travail. Dire que le pays est
pauvre est un truisme vieux de 50 ans. Préciser qu’il s’attarde dans les 10
derniers du classement établi sur 187 pays selon l’indice de Développement
Humain du PNUD n’est cependant pas inutile, pas plus que de pointer du doigt les
7 millions d’habitants qui vivent plus que chichement, gagnent bien moins de 100
dollars par mois, et que l’on insulte au quotidien avec des théories à 5 fruits
et 5 légumes par jour.
On comprendra mieux dès lors la recrudescence de
la criminalité depuis une dizaine d’années. La jeunesse est la première
concernée : moins de 30 % a été scolarisé, et 80 % des jeunes sont au chômage
alors que le pays s’était distingué des décennies durant par un civisme que bien
des pays occidentaux pouvaient lui envier. Pour échapper à la misère, quelques
milliers d’entre eux ont tenté leur chance armes à la main, en Côte d’Ivoire, en
Guinée orientale et même en Sierra Leone quand le chaos rongeait ces pays. Pour
ajouter au marasme, le prix du coton, première production du PIB ne cesse de
dégringoler, et des milliers d’hectares de sol cultivable ont été stérilisés par
cette culture.
Là-dessus, l’or et ses mirages ont attiré des milliers de
chercheurs d’emploi, non spécialisés bien entendu, dont quelques-uns ont
décroché des boulots peu rémunérateurs au regard des standards européens, mais
accueillis comme un peu d’eau dans le désert. Puis il y a eu cette menace venant
du Mali, véhiculée par des salafistes avec lesquels les Mossis composaient par
tolérance, et qui se transforme aujourd’hui en invasion. Le PNUD et le PAM
estiment à environ 100 000 âmes les populations maliennes déplacées par la
guerre, dont 46 000 ont pu être reçues dans les camps de Damba, Serelio, Mentao,
Bobo-Dioulasso et Ouagadougou (Somgande).
Allez distinguer le bon grain
de l’ivraie dans les cinquante et quelque mille qui errent dans le nord du
territoire, ou dans les 50 qui arrivent quotidiennement. Tentez aussi
d’expliquer aux villageois burkinabés pourquoi ces populations étrangères dans
les camps sont mieux traitées qu’eux. Si encore l’armée tenait la route, la
menace pourrait être contenue. Mais les salaires dérisoires des militaires et la
suppression de certaines primes les ont poussés à faire entendre leur
exaspération, suivis par d’autres. Cette plaie-là n’a pas cicatrisé et augure
mal d’une mobilisation en masse des forces. Venant inopportunément se greffer
sur le bouillonnement interne des populations, ce phénomène exogène ajoute à la
précarité du pays dans l’hypothèse de troubles émanant des populations
réfugiées.
En conclusion, sur ses propres ressources, le Burkina aura
beaucoup de difficultés à faire face à des groupes organisés issus du
déplacement des populations et déterminés à imposer leur joug à des villages,
voire à des régions entières du pays. Aujourd’hui, la zone qui s’étend au nord
de la ligne Dori-Djibo-Ouahigouya-Yatenga n’est plus sous le contrôle des
autorités, quoi qu’elles en disent, et malgré les quelques patrouilles qui la
traversent. Mais la patience des Mossis, Goumantché et Gourounsi a ses limites,
et les exactions des jihadistes pourraient réveiller l’atavisme guerrier qui les
a fait se distinguer lors des deux derniers conflits mondiaux.
Écrit
par Ayudo
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Echos
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