(Regards.fr 13/03/2013)
Le Kenya, qui vient d’élire son nouveau président Uhuru
Kenyatta, est encore fortement imprégné par la corruption et le clientélisme de
sa classe politique. Toutefois, il existe, en marge de tout circuit officiel,
des lieux où la population se forme à l’exercice de la démocratie : les
parlements populaires.
Dans le parc Jeevanjee au centre de Nairobi, sous
un chapiteau de feuilles, des citoyens se réunissent spontanément pour débattre
de sujets sociaux, économiques ou politiques. Ces rassemblements appelés Bunge
la Mwananchi en swahili ou People’s parliament en anglais existent depuis une
vingtaine d’années dans la plupart des grandes villes kenyanes et regroupent à
l’heure actuelle près de 10 000 membres. Ils ne sont subordonnés à aucun parti
politique, se déroulent quotidiennement et durent aussi longtemps que
nécessaire. Seth, s’y rend régulièrement après le travail, « j’aime venir ici,
cet espace de discussion me permet de me sentir valorisé », commente-t-il. En
effet dans une société où les citoyens demeurent encore trop souvent ignorés par
des politiciens richissimes, corrompus et clientélistes – le salaire des députés
kenyans est l’un des plus élevé au monde - les People’s parliaments représentent
non seulement un exutoire, mais aussi un espace d’échange où il devient possible
de trouver des solutions collectives aux problèmes concrets du quotidien,
palliant ainsi un état social encore défaillant. Ce jour-là, alors que
l’assemblée discute politique, une jeune femme, son enfant en bandoulière, se
place au centre du cercle. Frêle, un peu honteuse, elle conte d’une voix à peine
audible l’histoire de sa vie et demande de l’aide pour démarrer un petit
commerce. Promptement, l’assistance commence à argumenter sur le montant
nécessaire et la viabilité d’une telle entreprise. Ce sera un kiosque à légumes
et 2000 shillings (soit 18 euros). Un chapeau tourne dans l’assemblée, les
pièces de monnaie tintent. La somme lui est remise. Elle pleure et quelques
participants, émus, essuient discrètement leurs larmes.
Puis, les membres
retournent à leur débat politique : le résultat du scrutin présidentiel, qu’ils
attendent avec impatience, préoccupe tous les esprits. Soudain, l’un d’entre eux
se lève et s’exclame : « Quel que soit le résultat nous devons l’accepter et ne
pas oublier qu’avant d’appartenir à telle ou telle ethnie nous sommes tous
kenyans ! » Il ajoute, un brin philosophe « l’échec est un apprentissage, la
victoire est une responsabilité. » Acclamations approbatrices de l’auditoire.
Ainsi, la force de ces parlements populaires réside également dans la prise de
conscience d’une unité nationale et l’échange libre d’informations. Des citoyens
d’horizons différents y découvrent qu’ils ont les mêmes problèmes indépendamment
de leur appartenance régionale et trouvent des renseignements utiles à leur
formation politique. Comme l’analyse Susan Wangui, historienne politique : «
Même si la population continue à voter en fonction de son ethnie, les parlements
populaires encouragent la communication interethnique, et développent petit à
petit une conscience politique. C’est en quelque sorte de l’éducation civique
dispensée de manière subtile ». D’un point de vue plus global, ces
rassemblements citoyens s’inscrivent dans une dynamique nationale où les
plateformes de dialogue se multiplient depuis une vingtaine d’années. Et dans un
pays traversé par les conflits tribaux depuis son indépendance, cela représente
une avancée démocratique décisive. Le déroulement pacifique des récentes
élections en témoigne.
Par Jennifer Austruy|
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