(Rue 89 03/01/2013)
(De Goma, RDC) Entre le 19 et le 20 novembre 2012, la ville de Goma, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), est tombée aux mains du groupe rebelle M23. Le 1er décembre, les rebelles quittaient officiellement la ville. Avant et après cette période, d’autres acteurs « occupent » la ville : les ONG internationales et la Mission de stabilisation de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (Monusco).
Pourquoi les chars uruguayens, les hélicoptères sud-africains et les troupes indiennes – tous casqués de bleu – n’ont-ils pas empêché la chute de la ville ? Dans son communiqué de presse du 17 novembre, la Monusco déclarait qu’elle ne « tolérera aucune avancée ou action des troupes du M23 qui provoquerait une panique au sein de la population civile et engendrerait de nouveaux déplacés ».
Le même jour, elle demandait tout de même à l’ensemble du personnel civil basé à Goma de rentrer à la base et d’y passer la nuit. Puis la suivante. Et encore la suivante. Et enfin, évacua près des trois-quarts de son personnel non militaire.
Les rebelles sont rentrés dans une ville conquise
Comment les rebelles du M23 sont-ils arrivés à défaire une armée internationale ? Tout simplement parce qu’elle n’a pas été défaite et parce qu’il ne s’agit pas d’une armée internationale. Les casques bleus n’ont pas perdu la bataille de Goma car il n’y a pas eu de bataille. Les rebelles sont rentrés dans une ville conquise, ils n’avaient plus qu’à se débarrasser des quelques soldats téméraires ou égarés de l’armée régulière, n’épargnant pas au passage quelques civils.
La veille de l’attaque « en soutien aux FARDC (Forces Armées de la RDC) contre la progression des éléments du M23 vers la ville de Goma, la Force de la Monusco a engagé ses hélicoptères d’attaque qui ont effectué dix-sept sorties et tiré : 500 roquettes, quatre missiles et d’importantes quantités de munitions », précise la MONUSCO lors de sa conférence de presse du 21 novembre.
Mais le jour de l’attaque ? Rien. Roger Meece, le représentant spécial en RDC du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon, se justifie « nous sommes une force de maintien de la paix des Casques bleus établis par le Conseil de sécurité et non une armée de guerre ». Manière de rejeter la faute sur l’armée congolaise. Il faut dire que, le 19 novembre, les treillis flanqués d’un drapeau bleu traversé de rouge s’étaient fait rares dans la capitale du Nord-Kivu.
Il n’y eu donc pas de bataille… mais les forces militaires des Nations Unies ne sont pas non plus une armée internationale. Les Casques bleus ne sont pas des soldats en « Erasmus-militaire » venus du monde entier se battre sous drapeau bleu pour le seul bénéfice de la « communauté internationale ».
Les Casques bleus, contrairement au personnel civil, continuent à représenter leurs gouvernements et à leur rapporter leurs actions. Les bataillons indiens, uruguayens et sud-africains ne répondent pas seulement à l’autorité de New York mais également (surtout ?) à celles de leurs états-majors à New-Delhi, Montevideo et au Cap.
Ainsi, selon les capacités, l’histoire, les pratiques des différentes armées nationales, elles seront plus ou moins prêtes à se battre. Les officiers Indiens, par exemple, sont davantage connus pour leur hospitalité que pour leur ardeur au combat.
A qui la faute ?
Les rebelles du Mouvement du 23 mars (le M23) sont entrés dans Goma car personne ne les en a empêché : les FARDC avaient fui et la Monusco estimait que ce n’était pas sa mission. Et c’est bien cette dernière question qui pose problème.
Les Casques bleus se sont-ils abstenus car le mandat voté par le Conseil de sécurité des Nations Unies ne le leur autorise pas ou ont-ils refusé d’interpréter ce même mandat de manière plus belliqueuse ?
Le mandat de la Monusco tel que décrit dans sa résolution 2053 (27 juin 2012) rappelle clairement que sa mission n’est pas de se substituer aux forces régulières « le Gouvernement de la République démocratique du Congo est responsable au premier chef de la sécurité, de la réconciliation nationale, de la consolidation de la paix et du développement dans le pays ».
L’argument des Nations Unies est clair : les Casques bleus sont à Goma pour soutenir Kinshasa, pas pour se battre à sa place. Selon cette interprétation les Casques bleus n’avaient pas la légitimité nécessaire pour stopper la marche des rebelles en lieu et place des FARDC.
Une interprétation qui arrange tout le monde. En effet, celle-ci permet à tous les acteurs de se renvoyer la balle en arguant d’une certaine manière « nous avons peut être failli, mais c’est une erreur ancienne et lointaine. Elle provient d’un temps (juin 2012) et d’un lieu (New York) où on ne pouvait avoir connaissance de l’évolution de la situation. Désolé, nous nous sommes trompés, mais nous étions mal informés. Si nous avions su, nous aurions fait mieux ».
Un argumentaire qui permet au ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius de fustiger le mandat de la Monusco qui ne permet pas aux 17 000 Casques bleus d’intervenir pour s’opposer à « quelques centaines d’hommes ». Le représentant permanent de la France aux Nations Unies, Gérard Araud, insiste : « Le mandat de la Monusco n’est pas de défendre Goma, le mandat de la Monusco n’était pas de prendre partie dans la guerre civile », avant de préciser que la France est en faveur d’un mandat plus robuste.
Incompréhension du rôle de la Monusco
Pourtant, le mandat de la Monusco est parmi les plus forts des opérations de paix actuelles. Centré sur la « Protection des civiles » et sous chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le mandat autorise l’utilisation de la force. Les casques bleus ont le droit, et même le devoir d’assurer « la protection effective des civils, y compris le personnel humanitaire et le personnel chargé de défendre les droits de l’homme, se trouvant sous la menace imminente de violences physiques, en particulier de violences qui seraient le fait de l’une des parties au conflit » (résolution 1925/2010). La responsabilité de la Monusco n’est plus à l’époque et là-bas, mais ici et maintenant.
Cette compréhension du rôle de la Monusco apporte une autre interprétation à son inaction. Il s’agit d’un calcul machiavélique – dans le sens quantitativiste rationaliste – des opérations militaires. Laisser le M23 prendre Goma était peut-être le meilleur moyen de protéger la population. Les faits montrent qu’ils n’ont peut-être pas eu tort. Sans nier la souffrance générée par le conflit : celle de plus de 100 000 déplacés, des familles, des morts, des femmes violées … On peut légitimement se dire « cela aurait peut-être été pire s’il avait fallu se battre dans Goma ».
La Monusco n’a pas échoué militairement, dans l’incapacité de penser le long terme elle a fait un choix stratégique visant à éviter au maximum les dégâts à court-terme. Pourquoi pas. Mais en cédant à une logique quantitativiste les Nations Unies se séparent de l’absolutisme moral que porte le projet Kantien de « paix perpétuelle » dont est garant la charte.
L’ONU poursuit-elle son chemin allant de Kant à Hobbes ?
Joao Durbek
Chercheur
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