(Les Afriques 29/01/2013)
«Nous avons hérité d’une dette passée de 1200 milliards en
2006 à 3040 milliards en 2012», déclare Amadou Kane, Ministre sénégalais de
l’Economie et des Finances. Exclusif.
-Dans quelles conditions avez-vous
trouvé les comptes de l’Etat au moment de vos prises de fonctions il y a 9 mois
?
Quand nous sommes arrivés au pouvoir en mars 2012, nous avons hérité
d’une situation très difficile et où il fallait faire face à de grandes
urgences. Deux contraintes majeures pesaient sur les comptes publics. Il y avait
d’abord le marasme économique et l’incertitude politique qui perdurait depuis la
fin 2011 et qui s’est prolongée tout au long du premier trimestre 2012. En fait
une atonie qui s’est révélée avec une croissance faible de 1,5% du PIB et des
moins values de recettes de 54 milliards de FCFA. L’autre facteur d’urgence
était lié à la disette prévalant dans le monde rural du fait de la mauvaise
campagne agricole 2011-2012.
-Quel était l’état réel du déficit des
comptes publics en mars 2012 et quelles sont les mesures prises face aux
urgences ?
Le déficit des comptes publics rapporté au PIB était à plus de
6% déjà à la fin 2011. Quand nous sommes arrivés au début du premier trimestre
de cette année, ce taux tendait vers 8,2% pour une norme acceptable de 4%. Il
fallait donc impérativement réduire tout en respectant l’engagement du Président
de la République de diminuer les prix des denrées de base. Il a fallu adopter
des mesures d’urgence qui vont de la réduction des dépenses de l’Etat, à la
réduction de la taille du gouvernement, en passant par la modulation de tous les
budgets de fonctionnement à partir de leur situation à la fin avril. Nous avons
remis les équipes au recouvrement avec l’engagement de rattraper les
moins-values de recettes. Nous avons aussi pu bénéficier de l’appui de la France
qui nous a aidés en termes de trésorerie. Tout cela s’est traduit par un
meilleur cadrage macro-économique propice au rétablissement de nos équilibres,
et ce en concertation avec nos différents partenaires. Avec le Fonds Monétaire
International nous avons convenu de ramener le déficit budgétaire à 6,4%. Au
départ, l’institution monétaire voulait un taux de 5%. Il n’était pas question
pour nous d’accepter cela car il fallait, concomitamment à la réduction du
déficit, garantir un minimum de croissance. Le compromis a été trouvé et les
équipes du FMI étaient convaincues de nos choix. La Directrice Générale du FMI,
Christine Lagarde, a été sensible à notre plaidoyer. Dans l’ensemble, nous avons
réussi à stabiliser la dérive budgétaire. Les 6,4% seront respectés en
2012.
-Après 9 mois de retour à la normale, où en sont les comptes
publics aujourd’hui ?
Nos efforts entrepris depuis avril ont été payants
comme l’atteste les deux missions de revue conduites à la fin juin et à la fin
septembre par le Fonds monétaire international (FMI). Selon l’évaluation,
l’ensemble des critères objectifs ont été satisfaits. Ce premier objectif
d’assainir notre cadre macro-économique devait nous conduire au deuxième
objectif d’une croissance forte. En anticipant sur la campagne agricole, nous
avions établi nos objectifs de croissance à 3,9 % à la fin 2012. Je voudrais
rappeler que dans la loi de Finances 2012, la partie qui était réservée à
l’agriculture en termes d’investissements était destinée à apurer les arriérés
des saisons antérieures et non à préparer la campagne 2012-2013. Il fallu
recourir à des arbitrages pour dégager 34 milliards de FCFA affectés aux
intrants et aux semences. Nous avons veillé le plus que possible à ce que cette
manne aille chez les paysans. Nous pensons que l’agriculture va impacter
positivement notre économie. Nous projetons au final entre 3,5 et 3,7% de
croissance en 2012. La petite correction à la baisse s’explique par l’impact de
la crise qui sévit au Mali, l’un de nos principaux clients.
-Les
Sénégalais attendaient de votre gouvernement la baisse des denrées de base.
Qu’en est-il sachant que vous ne maîtrisez pas toute la chaîne de
valeur?
Les concertations menées avec les commerçants au niveau de la
Primature ont été bénéfiques. Nous constatons une nette stabilisation des marges
sur le riz, denrée essentielle des Sénégalais. Sur l’huile, il y a eu révision
de la structure des prix pour que les cours ne flambent pas. Pour le sucre, nous
avons libéralisé les importations et pris une mesure de subvention de la TVA
pour arriver à maintenir le prix à un niveau raisonnable. Il est vrai que, comme
vous le dites, nous ne maîtrisons pas toute la chaîne de valeurs. Sur certaines
denrées comme la farine et le pain, il y a de fortes pressions en faveur de
l’augmentation. Nous sommes d’ailleurs entrain de discuter avec les
opérateurs.
-Quelles sont les grandes orientations du Sénégal à moyen et
long terme ?
Nous allons assurer notre autosuffisance alimentaire, mieux
maîtriser notre production d’énergie, poursuivre la réalisation des grands
projets d’infrastructures. D’ailleurs, l’appui budgétaire de la France que
j’évoquais tantôt a été employé pour faire repartir certains grands projets. On
a relancé le DPS transformé en Stratégie nationale de développement social,
adopté le 7 novembre avec les partenaires bailleurs de fonds, les ONG, les élus
locaux, le patronat et la société civile. Cela nous a conduit à une SNDS 2013
-2017 dont les matrices d’actions nécessitent des financements d’environ 5 139
milliards de FCFA. Cette stratégie a été déclinée au niveau triennal au travers
du Programme d’investissement public 2013-2015, qui a recensé l’ensemble des
investissements prévus pour un montant global de 3 100 milliards. Plus de 2 500
milliards de ce fonds sont déjà acquis. En y incorporant, les fonds en
discussion, il ne nous reste à chercher que 0,7% de financements. Ce programme
triennal glissant comporte un volet de 912 milliards de FCFA d’investissement
dans la loi de finances 2013.
-Qu’est ce qui est prévu dans la loi de
finances 2013 pour la PME et les entreprises en général ?
La priorité
demeure le secteur primaire, l’infrastructure, l’énergie et le programme social.
Le secteur primaire compte pour 23,4% des investissements prévus dans l’année
2013, soit trois points de plus que l’année d’avant. Cette manne est destinée à
financer des aménagements, à participer à la reconstruction du capital semencier
et à permettre l’acquisition des équipements. Ce sont des investissements de
productivité. L’amélioration de la productivité du secteur agricole a un effet
plus important sur l’économie globale et les enjeux d’emploi y sont plus
cruciaux sans compter les effets d’entrainements dans les secteurs secondaires
et tertiaires.
-Quelles sont les réformes importantes au niveau de la
fiscalité des entreprises?
Disons d’abord que la réforme du Code Général
des Impôts n’est pas motivée exclusivement par des préoccupations budgétaires et
procède d’un fondement économique, devant permettre d’aider à favoriser la
production. Nous l’avons simplifié en réduisant le nombre d’articles, dans une
démarche où nous avons mis à contribution l’expertise et les best practices de
certains partenaires comme la Banque mondiale. Nous avons aussi revu la méthode
de calculs des impôts. Par exemple, l’impôt sur les revenus des personnes
physiques était complexe et d’une compréhension difficile. Nous l’avons non
seulement simplifié mais réduit. Les recettes provenant de cet impôt vont
diminuer de 28 milliards de FCFA. C’est un allégement substantiel pour les
personnes physiques. Nous avons voulu que ce Code Général des Impôts mette fin à
tous les régimes dérogatoires. Nous avons voulu diminuer les impôts qui
frappaient le capital et la transmission du capital. Dans les anciens textes,
plus tu investissais, plus tu payais. Aujourd’hui, cette tare est corrigée. En
outre, nous avons introduit des mesures facilitant la constitution de holding.
Tout cela va se traduire par une baisse de la base taxable mais avec un
élargissement de l’assiette fiscale et des recettes.
-Va-t-on maintenir
le régime des entreprises franches à l’exportation ?
Concernant les
entreprises franches d’exportation, l’importance de protéger les vraies
entreprises qui exportent est ressentie profondément par le gouvernement et par
moi-même. Toutes les dispositions fiscales qui existaient ont été retranscrites
dans le Code Général des Impôts. Nous avons maintenu le taux préférentiel de 15%
là ou le taux d’impôt sur les sociétés augmentent à 30%. Toutefois, nous avons
voulu y voir plus clair en termes de TVA. C’est une obligation pour nous de
retracer la TVA. Pour cela, nous voulons négocier avec les entreprises pour voir
comment maintenir la stabilité fiscale qui les concerne tout en permettant à
l’Etat d’avoir une meilleure lecture des activités du secteur.
-Le
Président Macky Sall a récemment rappelé aux banquiers la nécessité de réduire
leurs taux d’intérêts. Qu’en pensez-vous ?
C’est un objectif important.
C’est l’un de nos grands chantiers. Nous avons hérité d’une dette passée de 1200
milliards en 2006 à 3040 milliards en 2012. Entre ces deux dates, nous avons
retrouvé les niveaux d’endettement d’avant l’annulation dont nous avions
bénéficié en 2006. Certes à un taux d’endettement de 40% du PIB, notre dette
reste encore soutenable. Mais sa reconstitution a été trop rapide et s’est
effectuée, dans des conditions qui n’étaient pas favorables, ni en termes de
taux ni en durée. Par conséquent, nous avons hérité d’un service de la dette
extrêmement élevé. Ce service de la dette (603 milliards de FCFA) fait plus de
40% de nos recettes fiscales là où la norme est de 20%. L’Euro bond de 500
millions de dollars contractés à près de 9 % pour une période de 10 ans,
contribue à ce fort service de la dette.
-Comment procédez-vous pour
réduire ces engagements ?
C’est très complexe mais nous y arrivons. Nous
avons adopté en septembre 2012 une Stratégie d’Endettement à moyen terme visant
à reprofiler notre dette et à mieux la maîtriser. Il y a ensuite la confiance
retrouvée des investisseurs pour le Sénégal. C’est ainsi que j’ai refusé des
offres dés lors que les taux proposés n’étaient pas favorables. Depuis que nous
avons adopté ces mesures, toutes les tendances vont dans le bon sens. Le service
de la dette est entrain de baisser. Les taux d’intérêts reculent. Nous avons
lancé en novembre 2012 un Appel Public à l’Epargne sur 7 ans, qui a connu un
grand succès avec 88 milliards collectés. Nous faisons de telle sorte que cet
emprunt ait des taux inférieurs à ceux qui étaient été émis pour cinq ans. Cette
détermination à baisser les taux et à augmenter les maturités va être un signal
pour le marché. La baisse des taux de l’Etat (grand emprunteur) va pousser les
banques à prêter plus et à des taux moindres aux autres agents économiques. Nous
disons aux banquiers, la baisse de vos taux réduit nos dépenses. L’argent dégagé
nous permettra de soutenir plus le privé. Et au final, cet argent reviendra vers
vous. La baisse des taux ne signifie pas la baisse de vos résultats. Nous
comptons accompagner le secteur privé et l’entreprise en général. De plus, nous
préparons une loi qui concerne la Banque nationale de développement économique
(BNDE), avec un business modèle revu et corrigé. Cette loi passera en principe
avant la fin de l’année. Nous allons faire la demande d’agrément à la banque
Centrale dès le premier trimestre 2013.
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Afriques
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