(Le Monde 31/01/2013)
"Le drapeau du Mouvement national de libération de l'Azawad
[MNLA] flotte sur Kidal depuis que les islamistes en sont partis. La population
nous est 100% acquise.
Les femmes et les enfants ont brandi les drapeaux
du MNLA", assurait lundi 28 janvier au matin Moussa ag Assarid, un des
portes-parole du mouvement. Dans l'après-midi, il confirmait que leurs
combattants avaient repris aux islamistes Kidal et les villes de sa région,
ainsi que Léré, près de la frontière mauritanienne. "A Kidal et El-Khalil, nos
élements sont à l'intérieur de la ville et contrôlent les postes d'entrée. Nous
n'avons rencontré aucune résistance mais les combattants restent prudents, car
il pourrait y avoir une contre-offensive. Des opérations sont en cours
ailleurs".
"La reprise de Kidal, but de guerre des forces françaises et
maliennes, est importante pour le MNLA", commente Pierre Boiley, directeur du
Centre d'études des mondes africains (Cemaf). Depuis le lancement de l'offensive
Serval au Mali, le 11 janvier, le MNLA fait des appels du pied à la France pour
participer à l'intervention et ré-asseoir son influence au nord du Mali, après
avoir été balayé par les groupes islamistes armés en 2012. Le mouvement de
rébellion laïque, majoritairement composé de Touareg, avait profité au printemps
2012 d'un coup d'Etat militaire à Bamako pour finir de prendre le contrôle du
nord et proclamer l'indépendance de l'Azawad. Mais, il en avait ensuite été
chassé, en juin 2012, par différents groupes islamistes, parmi lesquels Al-Qaida
au Maghreb islamique (AQMI), le Mujao et les Touareg d'Ansar
Eddine.
"COLLABORER DANS LE CADRE DE LA LUTTE
ANTI-TERRORISTE"
Depuis, le mouvement a fait amende honorable. Il a mis
de côté ses revendications à l'indépendance du nord du Mali. Ce "pêché originel"
du mouvement n'a pas été apprécié au sein de la population du nord du Mali,
reconnaît Moussa Ag Assarid. Le MNLA s'est engagé, le 4 décembre à Ouagadougou
(Burkina Faso), à cesser les hostilités et à négocier avec les autorités
maliennes. Ces négociations sont suspendues depuis le lancement de l'opération
"Serval". En conséquence, indique Moussa ag Assarid, "nous avons dit notre
disponibilité à collaborer avec les Français dans le cadre de la lutte
anti-terroriste". Se considérant sur son territoire et voulant défendre la
population des exactions de l'armée malienne, le MNLA n'a cessé de demander la
possibilité à la France de faire lui-même le ménage contre les islamistes armés
dans les régions septentrionales du Mali.
Une demande à laquelle la
France n'a pas ouvertement accédé. "C'est un peu difficile de travailler
officiellement avec le MNLA, qui a exprimé des revendications d'indépendance,
alors que la France intervient aux côtés du Mali qui est un Etat souverain",
explique Pierre Boilley. Entre les lignes, le MNLA a été invité par la France à
faire ses preuves sur le terrain. C'est en tout cas l'interprétation qu'a donnée
le mouvement aux propos tenus par le ministre de la défense français, Jean-Yves
Le Drian, sur l'antenne de France 24, le 22 janvier, lorsqu'il déclarait : "Les
Touareg, quand ils sont dans leur territoire au nord du Mali, sont chez eux et
il importe de les respecter et de les considérer aussi comme des Maliens comme
les autres." Pour Moussa ag Assarid, "c'est officiel. Là où est le MNLA, les
forces françaises n'interviendront pas pour le déloger." Rien ne dit encore si
les autorités maliennes laisseront faire, opposées par principe à ce que le MNLA
assoie son contrôle sur l'Azawad.
Le MNLA assure, en tout cas,
disposer des moyens humains et matériels pour reconquérir le nord. "Nous
disposons de plusieurs milliers de combattants. Les combattants du MNLA sont
plus nombreux aujourd'hui qu'en 2012. Ils sont sous l'autorité des politiques
qu'ils respectent. Ce sont des hommes déterminés, aguerris aux techniques de la
guerre dans le désert et qui ont le souci de préserver la population dont ils
ont le soutien", assure Moussa Ag Assarid. Le mouvement disposerait d'armement
lourd et du carburant nécessaire, assure-t-il, pour mener cette
campagne.
Les expertises sur les capacités du MNLA sont partagées. Pour
Pierre Boilley, le mouvement a bénéficié du retour de combattants qui ont quitté
Ansar Eddine. "A la différence des forces françaises, ils connaissent le terrain
et ont l'envie", assure l'historien. Pour sa part, Jean-François Bayart,
directeur de recherche au CNRS estime que "le MNLA n'a pas les moyens militaires
de reprendre la contrôle de l'ensemble des territoires du nord. Il n'a pas les
moyens d'aller traquer AQMI dans les grottes du Sahara".
"PROTÉGER LES
POPULATIONS"
Le MNLA a fait le pari de prendre position dans les
villes de l'extrême nord du Mali avant que les forces franco-malienne n'y
jettent leur dévolu, mettant de côté ce qu'il considérait encore il y a peu
comme une condition préalable à son intervention : s'asseoir avec les autorités
de Bamako. "Nous voulons être dans une dynamique globale permettant une solution
politique définitive, tant sur l'aspect sécuritaire que politique", indiquait
samedi Moussa ag Assarid. Le MNLA a préféré prendre les devants pour s'assurer
que l'armée malienne ne reprenne pas pied au nord. "Ce serait dramatique pour la
population", assure Moussa ag Assarid. Le plus important pour le MLNA, indique
Pierre Boilley, est "que l'on ne massacre pas les populations pour leur couleur
de peau et que l'on fasse cesser les exactions de l'armée malienne contre les
Maures, les Touaregs et les Songhay".
Les craintes de
représailles sont très fortes au sein de la population touareg du fait de la
haine et de la méfiance qui s'est installée entre populations du nord et du sud.
"Au sud, il y a un amalgame féroce entre le MNLA, les Maures, les Touareg et les
salafistes. La population dit que c'est le MNLA qui a amené les salafistes,
alors que les islamistes sont là depuis 2003. Ce n'est pas le MNLA qui les a
amenés, il s'est battu contre le Mujao, contre les salafistes. Sans moyens
militaires, le MNLA n'a pas pu résister à l'offensive islamiste", estime Pierre
Boilley. Le MNLA est convaincu que si l'on laisse l'armée malienne sécuriser le
nord du pays, ce sera le "début d'une guerre civile avec des massacres de
Touareg et de Maures", indique Moussa ag Assarid.
VERS UNE SOLUTION
POLITIQUE
Le MNLA n'en abandonne pas pour autant ses revendications à une
solution politique, négociée avec les autorités maliennes. "S'ils font le
travail d'élimination des salafistes, ils veulent une garantie minimale d'un
accord ou d'un cadre pour aller vers une solution politique et vers une plus
grande autonomie. Une autonomie qui avait été signée officiellement par l'Etat
malien en 1991", indique Pierre Boilley. Le mouvement a abandonné ses vélléités
à l'indépendance, mais souhaite la mise en place d'une "réalité institutionnelle
et constitutionnelle assurant un minimum de développement à la région",
poursuit-il. Un pas en ce sens a été fait mardi lors de la réunion des donateurs
qui s'est tenue à Addis-Abeba, en Ethiopie.
Une plus grande autonomie
interne serait pour le mouvement le gage de sa capacité à résoudre les problèmes
du nord du Mali, dont elle revendique le soutien entier de la population. "Au
nord, la population touareg lui fait globalement confiance pour les protéger.
Elle n'était certainement pas majoritairement d'accord avec la proclamation
d'indépendance du MNLA et les buts de la rébellion. Mais elle craint davantage
l'imposition brutale du pouvoir du sud par la force", défend Pierre
Boilley.
Ouvrir le plus tôt possible ce canal de discussions entre le
MNLA et les autorités maliennes est vu par beaucoup comme une nécessité. "Nous
sommes prêts à discuter avec Bamako. Mais il n'y a aucune avancée sur la
question des négociations malgré les contacts que nous avons avec toutes les
parties impliquées", déplore Moussa Ag Asarid. "Les Français n'ont rien contre
un dialogue entre le MNLA et Bamako, mais exprimer son soutien à quelque partie
que ce soit serait un baiser de la mort, estime Jean-François Bayart, mais il
faut l'encourager".
Hélène Sallon
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Monde
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