(Le Monde 31/01/2013) La France a-t-elle, derrière son intervention au Mali, des
intérêts économiques à protéger dans la région ? C'est ce qu'affirme Stéphane
Lhomme, directeur de l'Observatoire du nucléaire, selon qui l'entrée en guerre
de Paris vise directement à "sécuriser l'approvisionnement des centrales
françaises en uranium : ce dernier est extrait dans les mines du nord du Niger,
zone désertique seulement séparée du Mali... par une ligne sur les cartes
géographiques".
C'est aussi ce qui est avancé dans certains titres de
presse, comme le quotidien algérien El Watan, qui explique que "la proximité du
Mali par rapport au Niger (4e producteur mondial d'uranium), son appartenance à
la région du Sahel considérée par les experts comme 'espace charnière pour le
transport du pétrole et du gaz', et plus globalement au continent africain,
théâtre de luttes d'influence entre les puissances économiques mondiales, sont
autant de facteurs pouvant expliquer l'intervention française au Mali". Sur le
site Atlantico enfin, le journaliste Florent Detroy, spécialiste des matières
premières, est du même avis, estimant que "l'arrêt des mines du Niger serait
catastrophique pour le groupe [Areva] et pour les Français", et que "le risque
d'un 'choc uranium' du fait d'une internationalisation du conflit actuel au Mali
n'est pas impossible".
Dans un entretien au Monde.fr, Emmanuel Grégoire,
directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD),
avance que, s'il n'y a pas de lien direct entre l'intervention de la France au
Mali et ses mines d'uranium au Niger, il est clair que la France n'a pas intérêt
à ce que le conflit s'étende à ce pays, qui assure un tiers des
approvisionnement de son parc nucléaire.
La France n'a-t-elle aucun
intérêt, en termes de ressources naturelles, à protéger au Mali
?
François Hollande a assuré que la France n'avait pas d'intérêt
actuellement au Mali. C'est vrai. Elle ne participe pas à l'extraction d'or,
principale ressource du pays. Mais à l'avenir, elle pourrait en avoir : dans le
bassin de Taoudeni, une oasis au nord du Mali à cheval sur la Mauritanie, des
permis de prospection ont été accordés à des compagnies algérienne, canadienne,
angolaise et française (Total) pour trouver du pétrole.
Total a fait un
premier forage, en 2010, qui a été estimé décevant. Elle avait prévu d'en faire
un second, qui a été gelé en raison du conflit. Cette région malienne est,
certes, très enclavée, mais elle pourrait s'avérer rentable avec la hausse du
cours du pétrole.
Quels sont les intérêts de la France dans le pays
voisin du Niger ?
Au Niger, la France n'exploite pas de pétrole : c'est
la Chine qui est sur le marché, dans la région d'Agadem, et compte, à long
terme, en exporter. Toutefois, c'est dans l'uranium que la France possède
d'importants intérêts. Le Niger pèse en effet pour 30 % de l'approvisionnement
des centrales nucléaires françaises en uranium.
Areva y possède deux
mines sur le site d'Arlit. Et une troisième est en construction, à Imouraren. A
l'horizon 2020, elle devrait produire 5 000 tonnes de minerai, et devenir la
première mine d'uranium d'Afrique. Le Niger, propulsé au second rang des pays
producteurs d'uranium, pèserait alors pour la moitié des approvisionnements de
la France.
Après la prise d'otage meurtrière à In Amenas en Algérie, la
France a décidé de sécuriser ses mines d'Arlit au Niger. Il y a eu des prises
d'otage par le passé, or, avec la nouvelle mine d'Imouraren, le nombre
d'employés dans les sites français devrait atteindre 300 personnes. Le président
nigérien, Mamadou Issoufou, a accepté la présence de forces françaises sur son
territoire, alors que son prédécesseur s'y opposait. L'arrivée au pouvoir de
François Hollande et de M. Issoufou, qui est un membre actif de l'Internationale
socialiste, a changé les relations entre les deux pays. Il a aussi prôné une
intervention militaire au Mali, et a envoyé des troupes sur place, à Gao
notamment.
Lire : Des commandos français vont sécuriser les sites d'Areva
au Niger>> Lire la note de blog : "Gao, une première victoire"
Y
a-t-il un lien entre l'intervention de la France au Mali et la défense de ces
ressources au Niger ?
Même si la France a des intérêts économiques clairs
au Niger, il n'y a pas de lien direct entre l'intervention militaire au Mali et
la protection de ces mines d'uranium. Mais son objectif est bien de stabiliser
la région, et de lutter contre des mouvements salafistes qui pourraient être
tentés de passer la frontière entre le nord du Mali et le Niger.
Il
est clair que Paris n'a pas intérêt à ce que le conflit malien s'étende dans ce
pays voisin, et vienne perturber la production d'uranium. Le Niger non plus
d'ailleurs : il tire 140 millions de dollars par an de ces mines, qui
représentent 30 % des exportations de l'Etat.
En cas de scénario
catastrophe, si la France perd ses mines d'uranium au Niger, elle peut toujours
se tourner vers d'autres pays producteurs comme le Canada ou le Kazakhstan. Mais
le cours de l'uranium risque de flamber. Or le prix de l'uranium extrait au
Niger a déjà triplé entre 2005 et 2012.
Lire aussi : Areva accusée de
négliger l'impact de ses mines d'uranium en Afrique
Propos recueillis par Angela Bolis
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Monde
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