(Le Monde 24/01/2013)
Dans la guerre que livrent au nord du Mali les forces française et malienne, le sort de centaines d'enfants-soldats recrutés par les combattants islamistes inquiète les organisations de défense des droits de l'homme. Parfois placés en première ligne des combats, ils pourraient être nombreux à avoir été blessés ou tués lors des affrontements en cours. Au regard du Statut de Rome, qui a établi la Cour pénale internationale (CPI), le recrutement d'enfants de moins de 15 ans par les forces armées gouvernementales et non gouvernementales constitue un crime de guerre.
"Ansar Eddine, le Mujao et Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ont recruté, entraîné et utilisé plusieurs centaines d'enfants au sein de leurs forces depuis le début de l'occupation du nord du Mali" entre fin mars et début avril 2012, affirme l'organisation Human Rights Watch (HRW). Salvatore Saguès, chercheur sur l'Afrique de l'Ouest pour Amnesty International, dit avoir rencontré en septembre "des enfants de 16-17 ans, embrigadés par les milices pro-gouvernementales. Or, en cas d'opération généralisée, le recours aux milices pourrait se généraliser également".
Selon HRW, ces enfants sont en majorité originaires du Mali et du Niger. Ils sont souvent recrutés dans les petits villages et hameaux, en particulier ceux dont les habitants pratiquent depuis longtemps le wahhabisme, une forme très conservatrice de l'islam. "C'est une population assez fragile que l'on peut séduire avec quelques petits biens et que l'on peut facilement endoctriner", précise Salvatore Saguès de Amnesty International. A HRW, un témoin a raconté avoir vu lors de sa visite de six petits camps d'entraînement dans la région de Gao, en décembre, plusieurs dizaines d'enfants formés au maniement des armes à feu et suivant un entraînement physique.
CONTRÔLE ET POLICE
"On a recueilli des témoignages certifiant qu'avant même le conflit, des enfants-soldats ont été utilisés par les islamistes pour faire les petits boulots comme surveiller les routes, rester postés aux points de contrôle ou faire la police contre les gens qui fument ou boivent de l'alcool", indique M. Saguès. Ainsi, une femme qui a fait le trajet entre Bamako et Gao les 8 et 9 janvier, a décrit à HRW avoir vu des enfants travaillant aux points de contrôle dans les villes de Boré, Douentza et Gao.
"Il y avait tellement d'enfants au sein du Mujao. A Boré, ce sont les enfants qui sont entrés dans notre autobus pour nous demander nos papiers et contrôler nos bagages. Il n'y avait qu'un jeune homme de plus de 18 ans à ce point de contrôle. Et à Douentza, il devait y avoir 10 garçons de moins de 18 ans, le plus jeune devait avoir seulement 11 ans", témoigne-t-elle. "Les témoins ont également indiqué que des enfants géraient des points de contrôle dans des zones affectées par les bombardements aériens menés par la France ou près des zones de combat actif", affirme encore HRW.
DES ENFANTS AU FRONT
Certains enfants-soldats auraient ainsi été aperçus parmi les combattants islamistes qui ont attaqué la ville de Konna, le 10 janvier, indique Jean-Marie Fardeau, directeur du bureau français de HRW qui cite des témoins directs. Un habitant de Konna a témoigné avoir vu "près d'une douzaine d'enfants parmi (les combattants), dont certains avaient seulement 12 ou 13 ans, tous armés de gros fusils et qui étaient à l'œuvre aux côtés des adultes".
Ces témoignages coïncident avec ceux d'habitants de Gao. Certains disent avoir vu des enfants parmi les renforts qui quittaient la ville pour Konna. Des mères à la recherche de leurs fils partis pour aller combattre à Konna ont fait part de leurs craintes à l'organisation. D'autres témoins encore ont dit avoir vu des enfants revenant à Gao après avoir été blessés lors des affrontements à Konna. "Cela prouve que les islamistes sont prêts à les utiliser dans des situations à très haut risque", commente Jean-Marie Fardeau.
Les témoignages recueillis par HRW confirment que les enfants sont exposés aux plus grands périls : "Trois des sites d'entraînement de Gao où des témoins ont vu les enfants-soldats - dans et autour du Camp Firhoun, au jardin de Njawa et dans le bâtiment de la direction nationale des douanes - ont été pris pour cible par les bombardements aériens français le 12 janvier", note l'organisation.
Hélène Sallon
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