(Le Nouvel Observateur 10/12/2012)
LE CAIRE (Reuters) - Mohamed Morsi a conféré provisoirement à l'armée le pouvoir d'arrêter des civils en Egypte afin de permettre la tenue samedi d'un référendum sur une nouvelle Constitution, que les opposants au président islamiste rejettent catégoriquement.
Face à la colère de l'opposition libérale et laïque, qui manifeste sans discontinuer aux abords du palais présidentiel, Mohamed Morsi a renoncé aux pouvoirs étendus que lui attribuait un décret pris le 22 novembre. Il reste ferme en revanche sur la tenue du référendum.
Aux termes d'un décret présidentiel adopté dimanche soir, les militaires sont autorisés à arrêter des civils et à les présenter à la justice jusqu'à la proclamation officielle des résultats de la consultation sur le projet de Constitution.
Cette initiative rappelle l'instauration de l'état d'urgence par Hosni Moubarak. Présenté comme une mesure temporaire, cet état d'urgence est resté en vigueur jusqu'à la chute du "raïs" et a permis à l'ancien régime de juger des milliers d'opposants, notamment islamistes, dans le cadre de procédures d'exception.
L'armée, en tant que responsable de la transition, dit-on de source gouvernementale, a assuré la sécurité des différents scrutins organisés depuis le renversement d'Hosni Moubarak par la rue en février 2011 mais l'élection d'un président civil a rendu nécessaire l'adoption d'un décret pour solliciter son appui à la police.
Elu en juin, Mohamed Morsi a ensuite affirmé son autorité à l'égard de l'armée, dont il a purgé l'état-major en août. Il n'a cessé depuis de rendre hommage aux militaires lors de ses interventions publiques.
L'armée a fait entendre sa voix samedi dans la crise qui secoue l'Egypte. Elle a appelé toutes les parties au dialogue et a prévenu qu'elle ne tolérerait aucune violence. Les affrontements entre opposants et partisans des islamistes au pouvoir ont déjà fait sept morts et 350 blessés.
"VIOLENTE CONFRONTATION"
L'armée et la police sont restées relativement passives jusqu'à présent face à ces violences. Le corps d'élite de la Garde républicaine n'a ainsi pas fait usage de la force pour éloigner les manifestants des abords du palais présidentiel.
Les Frères musulmans, dont est issu Mohamed Morsi, ont critiqué le ministère de l'Intérieur pour son incapacité à empêcher l'incendie de leur siège au Caire et de 28 de leurs antennes ailleurs dans le pays.
La journée de mardi pourrait marquer une nouvelle étape dans la crise puisque l'opposition et les islamistes prévoient de manifester en masse au Caire, en des endroits différents.
Les opposants, qui accusent les Frères musulmans de vouloir imposer un carcan religieux à la société égyptienne avec leur projet de Constitution, ont mis en garde contre le risque d'une "violente confrontation" en cas de tenue du référendum.
Emmené par des personnalités telles que Mohamed ElBaradeï, Amr Moussa ou Hamdine Sabahy, le Front de salut national (FSN) créé par l'opposition n'a pas encore tranché entre un boycottage du référendum ou un appel à voter "non".
Cette indécision est due à la volonté des opposants d'obtenir l'annulation pure et simple du référendum.
"Aucune de ces deux décisions ne convient car ils ne veulent tout simplement pas du référendum", a dit Lamia Kamel, porte-parole d'Amr Moussa.
Cette position a été confirmée par une porte-parole de Mohamed ElBaradeï : "Nous ne reconnaissons pas ce référendum. L'objectif est de faire revenir (le pouvoir) sur cette décision et de le reporter."
LES FRÈRES CONFIANTS
Du côté des Frères musulmans, manifestement confiants dans l'adoption de la Constitution en raison de leurs précédents succès électoraux et de la lassitude perçue chez de nombreux Egyptiens à l'égard de l'instabilité, on juge que l'opposition a parfaitement le droit de manifester, à condition que cela ne dégénère pas en violences.
"Ils sont libres de boycotter, de participer ou de dire non, ils peuvent faire ce qu'ils veulent. L'important, c'est que cela se déroule dans un contexte pacifique afin de préserver la sûreté et la sécurité du pays", a dit Mahmoud Ghozlan, porte-parole de la confrérie islamiste.
Quelle que soit l'issue du référendum, cette crise ne cesse d'élargir le fossé entre deux franges de la société égyptienne et compromet les efforts de redressement économique du pays.
Mohamed Morsi a suspendu lundi des hausses de taxes juste après leur parution au Journal officiel. Elles devaient alourdir la fiscalité sur un éventail de biens et de services, tels que les boissons alcoolisées, le tabac, les appels téléphoniques ou encore la délivrance des permis de conduire ou des autorisations d'exploitation de carrières.
L'abandon de ce projet devrait compliquer la conclusion d'un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) sur l'octroi d'un prêt de 4,8 milliards de dollars (3,7 milliards d'euros).
par Alistair Lyon et Yasmine Saleh
Avec Edmund Blair et Patrick Werr, Bertrand Boucey pour le service français, édité par Gilles Trequesser
Créé le 10-12-2012 à 16h15 - Mis à jour à 16h15
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