jeudi 6 décembre 2012

Égypte : «Morsi a accaparé les pleins pouvoirs»

(Le Figaro 06/12/2012)

INTERVIEW - Tahani al-Guébali est vice-présidente de la Haute Cour constitutionnelle, la plus haute juridiction d'Égypte.
LE FIGARO. - La Haute Cour constitutionnelle a suspendu ses audiences depuis dimanche. Jusqu'à quand cette grève va-t-elle durer?
Tahani AL-GUÉBALI. - Il ne s'agit pas d'une grève, mais d'un arrêt forcé de nos activités. Dimanche, alors que les dix-neuf membres de la Haute Cour devaient se réunir pour examiner la légitimité de l'Assemblée constituante, accusée de ne pas représenter le pays, nous avons été bloqués par un barrage de barbus pro-Morsi qui nous ont empêchés de pénétrer dans le bâtiment. Depuis, ils sont des centaines à camper sur place. Chaque fois que je m'y rends, je dois rebrousser chemin sous un déluge d'insultes. J'ai même reçu des menaces de mort sur mon portable. Depuis son coup d'État constitutionnel du 22 novembre, qui interdit tout recours en justice contre ses décisions et contre la Constituante, le nouveau président a accaparé les pleins pouvoirs. Il ­règne en maître au-dessus des lois. Il impose sa dictature.
Pourquoi cette offensive contre le pouvoir judiciaire?
Dès son élection en juin, Mohammed Morsi a déclaré la guerre au pouvoir judiciaire. Il a d'abord tenté de rétablir le Parlement, dissous par un verdict de la Haute Cour. Il a ensuite placé ses hommes tout en cherchant à se débarrasser du procureur général, qu'il vient de limoger pour de bon. En fait, il saisit toutes les occasions d'éliminer les obstacles à la conquête du pouvoir par les Frères musulmans. Il n'y a qu'à voir le texte constitutionnel rédigé par ses alliés islamistes: non seulement il sème les graines d'un État religieux, mais il limite également les libertés individuelles et le droit à la ­­­cri­tique.
Les partisans de Morsi assurent que son décret est «temporaire» et qu'il vise à accélérer les réformes…
C'est faux. Les Frères musulmans sont en train de kidnapper la révolution. Ils cherchent à contrôler toutes les institutions, notamment la Haute Cour constitutionnelle. La nouvelle Constitution, qu'ils veulent soumettre à référendum le 15 décembre, réduit ses compétences et propose d'évincer huit de ses membres, dont moi-même. Pendant ce temps, l'institution sunnite al-Azhar se voit, elle, octroyer la tâche d'interpréter la charia…
Comment voyez-vous l'avenir?
Notre pays est en danger. Il y a une escalade indéniable de la violence. Mercredi, les manifestants anti-Morsi ont marché pour la première fois sur le palais présidentiel. Les protestataires se sentent trahis, ils appellent à la chute de Morsi et au renversement du régime. Dans les rassemblements, on commence à entendre les mêmes slogans qui ont mené à la chute de Moubarak. Mais, en face, les islamistes se mobilisent et rassemblent leurs troupes en grand nombre. Cette crise divise le pays en deux clans bien distincts.

Par Delphine Minoui
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