(Le Pays 14/06/2010)
Une dizaine d’anciens patrons des différents états-majors de l’armée sous l’ex-président guinéen Dadis Camara, sont présentement détenus à la gendarmerie de Matam, dans la banlieue de la capitale Conakry. A deux semaines de l’élection présidentielle la plus ouverte jamais organisée en Guinée, l’équipe du général Sékouba Konaté n’entend donc pas baisser la garde. Le cap reste maintenu sur le scrutin du 27 juin prochain.
Parmi les plus connus des insurgés figurent, entre autres : le colonel Oumar Saloh, ancien chef d’état-major des armées, le colonel Alpha Osmane Diallo, ancien chef d’état-major adjoint de la marine, David Haba, directeur du cabinet du ministère de la Défense nationale, Osmane Kaba de l’armée de terre. Des arrestations qui suscitent tout de même des interrogations. Pourquoi seulement d’anciens chefs d’état-major de différentes unités sous le régime du capitaine Moussa Dadis Camara ? Simple stratégie ? Mesures de précaution ? Que reproche-t-on vraiment à ces officiers supérieurs ? Qu’adviendra-t-il d’eux ?
En l’absence de toute réponse, la fièvre monte et l’inquiétude ne cesse de grandir à Conakry. On va même jusqu’à accuser le chef d’état-major des armées, le colonel Thiam, de régler des comptes. L’importance du nombre et la qualité des insurgés attestent, s’il en est besoin, de l’ampleur des menaces pesant sur le processus en cours. C’est à se demander ce qu’il adviendra de la Guinée après les élections ? Un responsable d’une ONG de défense des droits de l’homme trouve, à ce propos, qu’il est "inutile de créer des tensions qui puissent empêcher la tenue de cette élection par des violations de libertés". Certes, le fait que les personnes arrêtées soient détenues à la gendarmerie nationale, traduit, pourrait-on dire une certaine modération. En attendant d’en savoir sur ce qu’on leur reproche et ce qu’on fera de ces fidèles de Dadis Camara, on ne peut s’empêcher de croire qu’un certain malaise règne au sein de l’armée guinéenne.
Les mises en garde répétées du général Sékouba Konaté en témoignent. Ce malaise semble persister à la veille de l’élection présidentielle. Et la récente réintégration de 80 soldats radiés de l’armée guinéenne en 1998 sous le défunt et ex-président général Lansana Konté ne va pas faciliter les choses. Il appartiendra bien entendu aux autorités militaires supérieures de savoir gérer la nouvelle situation au mieux. Car, des remue-ménages devront s’opérer nécessairement. Et comme toujours, ils seront suivis de grincements de dents.
L’on aurait certainement eu à redire si, en lieu et place de Sékouba Konaté, c’était Dadis Camara qui agissait ainsi. Mais l’infortuné capitaine est aujourd’hui bien loin du théâtre des opérations, même si ses partisans sont toujours embusqués. Mais le général Konaté, n’est pas Dadis et comme tel, il n’a pas intérêt à semer la zizanie. Il ne cherche aucunement à confisquer le pouvoir. En revanche, il est bien placé pour savoir qui peut occasionner des troubles préjudiciables au processus. Il se fera donc toujours vigilant, et par conséquent, il s’en prendra à tout ce qui est susceptible d’empêcher le processus démocratique en cours de connaître un meilleur aboutissement. Le général veut la mise en place d’une nouvelle république. Il ne s’affiche pas contre ses anciens compagnons, mais essaie de protéger le processus à sa façon. Il lui faut bien gérer cette frilosité qui gagne les rangs au fur et à mesure de l’épuisement de la feuille de route qu’il s’est lui-même imposée.
La situation est d’autant plus délicate que c’est la première fois que l’on organise en Guinée des élections multipartistes, transparentes et équitables. La première expérience du genre dans ce pays indépendant depuis 1958, mais dont l’abondance des richesses n’a jamais réellement profité à la grande majorité des populations. Elles se sont en effet continuellement appauvries tout au long de l’histoire mouvementée. Les fidèles de Dadis Camara eux, auraient bien voulu faire place nette avant que le processus de démocratisation ne s’enclenche réellement. Aussi continuera-t-on de les craindre même au-delà des élections. Gagner la bataille des élections : une mission noble certes, mais combien dérangeante pour bien des intérêts.
Les arrestations opérées récemment dans le camp des partisans de Dadis Camara, constituent en cela un message clair : le général Sékouba Konaté tient à un meilleur aboutissement du processus démocratique en cours. Par conséquent, jamais il ne se montrera tolérant envers ce qui s’apparente à une menée subversive. Homme de courage et de consensus, le général Konaté est avant tout soucieux de l’intérêt du pays autant que de la cohésion dans l’armée.
Des risques, il en prendra toujours. Parce qu’il se montre chaque jour encore plus déterminé à tenir parole et à organiser ces élections à la date convenue. A l’armée de l’aider à jouer le jeu jusqu’au bout en faisant preuve de plus de discipline et de cohésion. A la classe politique de savoir relever le défi qui est le sien. A la société civile de demeurer vigilante afin d’éviter tout retour en arrière.
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