Tanguy Berthemet 16/06/2010
Premier producteur de brut en Afrique, le Nigéria est régulièrement touché par des fuites de pétrole. Pourtant, ces catastrophes n'ont pas eu le moindre écho.
C'était le 1er mai dernier. Un oléoduc hors d'âge se rompait. En une semaine quatre millions de litres de brut se répandaient, souillant des kilomètres carrés de marais. Mais le drame n'a pas eu le moindre écho. Au Nigeria, la chose est trop commune. Le delta du Niger, l'une des plus vastes zones humides du monde, est aussi la capitale des marées noires. Ici pas de catastrophe précise, juste un lent et permanent laisser-aller dans l'exploitation du brut.
Pour son malheur, le delta est en effet gorgé d'un pétrole d'une excellente qualité, qui a propulsé le Nigeria au rang de premier producteur africain et la région dans l'enfer.
Selon l'ONU, plus de 6 800 fuites entre 1976 et 2001 ont déversé environ 3 millions de tonnes de pétrole, ruinant l'écosystème et les 31 millions d'habitants de la région. «C'est l'équivalent d'un Exxon Valdez par an depuis cinquante ans», affirme Jacques Viers, président de la commission entreprises d'Amnesty International. L'an dernier, l'ONG a consacré un rapport virulent au désastre.
Les Nigérians du delta n'ont presque rien vu des 600 milliards de dollars qu'a rapporté le brut au cours du demi-siècle. Ils n'ont vu que la pollution qui les ronge. «Les habitants sont contraints de se laver, de boire et de cuisiner avec des eaux polluées. Ils mangent du poisson -s'ils ont la chance d'en trouver encore- contaminé par les hydrocarbures et d'autres toxines. Leurs terres agricoles sont détruites», détaille le document d'Amnesty.
La malédiction du pétrole
Comme d'autres avec elle, l'association met en cause l'industrie pétrolière et plus précisément le géant Shell. La plupart des sites touchés par les marées noires se situent dans les périmètres exploités par Shell Petroleum Development Company (SPDV), un consortium dirigé par la multinationale. Le manque d'entretien des installations serait à l'origine de ces multiples fuites.
«Aucune opération de dépollution n'est réellement menée, constate Jacques Viers. Shell fait la sourde oreille.» Pour sa défense, la compagnie anglo-néerlandaise argue qu'entre 53% et 85% des accidents seraient dus à des sabotages ou des attentats.
Au fil des années, la frustration et la misère des communautés locales ont nourri la violence et une multitude de groupes armés, mélanges de milices indépendantistes et de bandes mafieuses trafiquant dans le pétrole. Le Mouvement d'émancipation du delta du Niger (Mend), la plus organisée et la plus puissante de ces milices menace régulièrement Shell et le gouvernement.
«Il est exact que les compagnies n'ont pas un comportement parfait. Mais il ne faut pas oublier que depuis les nationalisations des années 1970 l'État nigérian est l'actionnaire majoritaire de tous les consortiums. C'est donc à lui qu'incombe d'entretenir et de protéger les oléoducs», rappelle Marc-Antoine Pérouse de Montclos, un spécialiste du Nigeria.
Engluées dans la corruption et le complexe jeu politique local, les autorités s'en sont, jusqu'à aujourd'hui, toujours montrées incapables. Goodluck Jonathan, nouveau président du pays, le premier à être issu du delta, affiche son intention de mettre un terme à la malédiction du pétrole pour ses «frères».
par lefigaro.fr
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