lundi 14 juin 2010

Afrique du Sud - Mandela, l'athlète libérateur

(Le Monde 14/06/2010)
Sauf miracle, il ne pourra pas rejouer Invictus. Le spectaculaire exploit accompli il y a quinze ans à la face d'un monde éberlué par une équipe "nationale" de rugby alors universellement vilipendée, détestée par neuf sud-africains sur dix, boycottée par ses compétitrices étrangères pour cause d'apartheid, ne peut sans doute pas se produire plus d'une fois par vie. Et puis, relèvent les spécialistes, aussi sympathiques soient-ils, les Bafana Bafana, l'équipe sud-africaine de foot presque aussi intégralement noire que les costauds victorieux du rugby étaient blancs, ne sont pas les Springboks. Question de palmarès.
En 1995, on s'en souvient – le film de Clint Eastwood l'a brillamment remis en mémoire –, le surprenant triomphe des "Boks", comme on les appelle là-bas, avait jeté dans les bras les uns et des autres des millions de gens de toutes couleurs qui, la veille encore, osaient à peine échanger un regard. Dans un pays où le sport s'apparente à la religion, la nuit fut inoubliable de fêtes, d'accolades et de beuveries multiraciales comme on n'en avait jamais vu à la pointe sud du continent.
Descendu dans l'arène revêtu des couleurs vert et or des Boks, le vieux magicien, élu chef de l'Etat l'année précédente, triomphait. Contre l'avis des pontes de son parti, contre l'opinion de ses amis les plus proches et de ses propres enfants, tous révulsés à l'idée de soutenir une équipe alors perçue comme l'incarnation de l'oppression blanche, Nelson Mandela avait osé. Et il avait gagné.
"Nous n'avions pas seulement remporté la Coupe du monde de rugby, dira-t-il. Nous étions une seule nation, unie derrière notre équipe victorieuse." Plus tard, il affirmera que "Le rugby, comme le football, le cricket et les autres sports collectifs, a vraiment le pouvoir de guérir les blessures". Vrai, parfois. Nul doute qu'en se battant en 2004 pour obtenir de la FIFA "le privilège" d'organiser la première Coupe du monde de football sur le continent africain, Mandela rêvait de réitérer le miracle de 1995.
UNE ICÔNE DANS LA TRIBUNE
A quelques semaines de son 92e anniversaire, le 18 juillet, le vieil homme veut encore y croire. Lui qui ne sort plus guère de sa résidence d'Houghton, riche banlieue nord de Johannesburg, a mis un point d'honneur à recevoir les Bafana pour une photo le 4 juin. Il devait aussi assister au matche inaugural du Mondial, le 11 juin, et à la finale, le 11 juillet. La présence de l'icône dans la tribune peut-elle affecter la performance des "footeux" sud-africains ? Improbable, on l'a dit.
Peu importe. Le vieux sage, a fait savoir son entourage, "tient absolument" à être présent. Et pas pour la galerie ! Mandela n'est pas de ces politiciens opportunistes qui apprécient le sport à dates fixes, face à la caméra. "Madiba", comme on le nomme avec affection dans son pays (en référence au nom de son clan tribal d'origine), est un authentique groupie et un athlète, un vrai. "Le sport, énonce-t-il en 2000, a le pouvoir de changer le monde. Le pouvoir d'inspirer, le pouvoir d'unir les gens comme personne. Le sport peut réveiller l'espoir quand il n'y a pourtant que désespoir tout autour."
Quatre tableaux pour illustrer son obsession : un esprit sain dans un corps sain. D'abord un enfant noir, à demi nu, qui court à perdre haleine dans les hautes herbes du veld sud-africain. Mandela a 5 ou 6 ans, il garde les moutons et les veaux de son père adoptif, le prince régent du clan des Thembu, qui appartient à la grande tribu des Xhosas.
C'est ensuite un jeune avocat, verbe agile et svelte silhouette, qui tombe chaque soir le complet veston pour enfiler les gants et frapper le punching-ball dans un club de la "ville de l'or", Johannesburg. Madiba est déjà très engagé dans son combat, il est le patron de la section jeunesse du Congrès national africain (ANC). Bientôt, il connaîtra ses premiers procès.
"SI LE VIEUX PEUT LE FAIRE…"
Après, c'est un emmuré à vie dans l'île-prison, Robben Island, au large du cap de Bonne-Espérance. Il s'éveille chaque jour avant l'aube pour d'interminables exercices solitaires destinés à durcir ses muscles et oxygéner son esprit. Plus tard, quand l'oppresseur l'obligera, trois ans durant, à partager son étroite cellule avec trois autres détenus, il énervera ses compagnons moins portés que lui sur l'effort physique. "Chez les Africains de ma génération, la pratique de l'exercice physique était rare, se souviendra Mandela. Au début, mes jeunes codétenus m'observaient d'un drôle d'air. Et puis ils se sont dit : “Si le vieux peut le faire, pourquoi pas nous” ? " C'est enfin un septuagénaire libéré, adulé, qui affole sa garde présidentielle dans un jogging quotidien à travers les rues sombres de la grande et dangereuse "cité des Boers", Pretoria.

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