(Liberation 07/01/2013)
Portrait Le président François Bozizé a su prendre le
pouvoir par la force et le conserver par les urnes. Jusqu’ici.
Les
rebelles qui campent au nord de Bangui exigent sa démission. La France,
ex-puissance coloniale, le pousse à lâcher du lest et les Etats-Unis ont
carrément fermé leur ambassade à Bangui. Quant aux pays voisins, la plupart sont
exaspérés par un comportement jugé à la fois indolent et erratique. Et pourtant,
malgré ces vents contraires, François Bozizé, le président de la République
centrafricaine, pourrait bien sauver sa tête à l’issue des pourparlers de paix
qui doivent démarrer la semaine prochaine à Libreville, au Gabon.
A 66
ans, «Boz», comme on le surnomme à Bangui, joue sans doute l’une des parties les
plus difficiles de son existence politique, marquée par une soif farouche du
pouvoir. Né en 1946 au Gabon, où son père gendarme était en poste, il a embrassé
naturellement la carrière militaire. Issu de l’ethnie majoritaire Gbaya, il se
serait fait remarquer très tôt par «l’empereur» Bokassa en rudoyant un
mercenaire français accusé d’avoir manqué de respect à l’ancien homme fort de
Bangui. Bozizé devient son aide de camp et, à 32 ans, le plus jeune général de
son pays.
S’il n’est pas particulièrement brillant, l’officier ne manque
ni d’ambition ni d’esprit d’initiative. Après la chute de Bokassa (en 1979),
lâché par son protecteur français, le président Valéry Giscard d’Estaing, «Boz»
part en France, où il suit les cours de l’Ecole de guerre. «C’était un homme
sérieux, un taiseux, témoigne l’ancien journaliste Jean-Louis Gouraud, son ami
de trente ans. Il tranchait par rapport aux autres camarades africains que
j’avais à l’époque.» De retour à Bangui, en 1981, il est nommé ministre de
l’Information par le président André Kolingba. Deux ans plus tard, il échoue à
le renverser et prend le chemin de l’exil, au Bénin, où il entre en contact avec
les mouvements évangélistes. Une rencontre spirituelle qui marque une étape
importante dans sa vie.
Pasteurs. Franc-maçon, comme nombre de dirigeants
d’Afrique centrale, Bozizé va aussi fonder la branche centrafricaine de l’Eglise
du christianisme céleste - Nouvelle Jérusalem. «Il n’a pas une pratique
religieuse ostentatoire, mais dit souvent quand il fait face à un os : "Dieu y
pourvoira"», raconte un ancien conseiller. Il ne boit pas, pas plus qu’il ne
fume. En revanche, on lui prête à Bangui une vie sentimentale agitée. Les
pasteurs béninois sont très présents dans son entourage direct.
Sa foi
l’a peut-être aidé en 1990, lorsqu’après avoir été arrêté au Bénin et extradé,
il échappe de justesse à une tentative d’assassinat dans sa cellule à Bangui.
Trois ans plus tard, Bozizé se présente à l’élection présidentielle, où il
obtient un score dérisoire qui lui vaut le sobriquet peu enviable de «Monsieur
1%».
Mais le galonné sait se placer et quand, en 1997, l’ex-Premier
ministre de Bokassa, Ange-Félix Patassé, devient président, «Boz» - qui l’a
opportunément soutenu - est nommé chef d’état-major. Un poste qui lui donne des
idées. Face à la dérive du régime de Patassé, qui fait notamment appel à des
milices congolaises pour asseoir son autorité par la terreur, l’officier
supérieur décide de passer à l’action. En 2001, il échoue à s’emparer du pouvoir
par la force. Mais deux ans plus tard, avec le soutien actif du président
tchadien, Idriss Déby, il touche enfin au but. A l’époque, on lui prête aussi le
soutien du président Jacques Chirac. «En réalité, hormis quelques solides
amitiés au sein de l’armée française, il était tenu à distance par Paris, assure
Jean-Louis Gouraud. D’ailleurs quand il a pris le pouvoir, et qu’il a demandé
l’aide financière de la France, on lui a répondu qu’il fallait qu’il organise
d’abord des élections. Résultat, il s’est tourné vers les
Chinois.»
Onction. En 2005, Bozizé obtient enfin l’onction des urnes, et
sera réélu en 2011, lors d’un scrutin contesté. Depuis dix ans, il multiplie les
initiatives pour tenter d’éteindre les foyers de rébellion qui ne cessent
d’éclater à travers ce pays pauvre, relégué dans les profondeurs du classement
de l’ONU sur le développement. Ses détracteurs lui reprochent son incompétence.
«C’est un brave type mais qui a un mal fou à prendre des décisions, dit un de
ses anciens proches. Il n’a clairement pas le niveau pour diriger un pays aussi
pauvre et divisé, où le sentiment national est inexistant.» Nicolas Sarkozy, qui
le jugeait peu fiable et têtu, l’avait même surnommé «l’autiste de
Bangui».
«On lui reproche d’être indécis sans cesser de l’enjoindre à
discuter avec tout le monde pour réconcilier le pays, s’insurge son ami
Jean-Louis Gouraud. Autre accusation récurrente : celle de népotisme. A
l’Assemblée nationale, les membres de son clan détiennent une vingtaine de
sièges sur 105 ! La «première dame», Monique Bozizé, a été élue députée à Bimbo,
un faubourg de Bangui. Et nombre de ses proches occupent des postes stratégiques
au sein du régime. Ce qui n’empêche pas le chef de l’Etat de les limoger. «Boz»
vient ainsi de remercier son fils, le ministre de la Défense Jean-François
Bozizé, après le retrait piteux des forces armées centrafricaines face aux
rebelles du mouvement Séléka. Auparavant, il avait démis son neveu, l’influent
ministre des Mines et des Finances, Sylvain Ndoutingaï.
Donné pour mort
politiquement il y a quelques jours, «Boz» n’a peut-être pas dit son dernier
mot. Pour les dirigeants de la région, entériner son départ, comme l’exige la
rébellion, reviendrait à montrer le mauvais exemple (lire ci-contre). «On le
sous-estime, dit son ancien conseiller. Ce n’est peut-être pas un fin stratège,
mais c’est un roublard.»
Par THOMAS HOFNUNG
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Liberation
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