(Le Temps.ch 21/01/2013)
Le bilan de l’opération contre les islamistes à In Amenas est très lourd. Mais Paris ne semble avoir d’autre choix que de l’accepter
Le bilan très lourd fourni par Alger dimanche, suite à l’assaut donné sur le site gazier d’In Amenas, faisait état de 23 morts parmi les otages et de 32 assaillants tués. Il y aurait en outre encore une vingtaine de corps non identifiés. En l’absence d’autres informations que celles données depuis jeudi par l’APS, la principale courroie de transmission du gouvernement, il semble hasardeux d’établir le déroulé exact des faits. Le ministre algérien de la Communication, Mohamed Said, a déclaré dimanche que le bilan des victimes de l’attaque islamiste contre le complexe risquait d’être «revu à la hausse». Paris depuis le début de la prise d’assaut du complexe gazier se garde bien de critiquer Alger: «Face au terrorisme, il faut être implacable», a déclaré Laurent Fabius.
A Alger, l’ensemble de la presse salue l’opération de l’armée alors que Londres et Tokyo notamment, qui ont perdu des ressortissants dans la prise d’otages, jugent la réaction extrêmement brutale. «Les Algériens n’ont accordé aucune importance aux critiques», répond Echorouk, le plus fort tirage de la presse arabophone, qui poursuit: «Même la France, qui a fait preuve de compréhension envers l’Algérie n’a, en fait, que renvoyé l’ascenseur pour la compréhension algérienne de son intervention au Mali.» François Hollande a estimé que l’Algérie avait eu «les réponses» les «plus adaptées» car «il ne pouvait y avoir de négociation» avec les preneurs d’otages.
Reste le problème soulevé par la presse algérienne: comment un site comme celui d’In Amenas a pu tomber aux mains des preneurs d’otages? Pour l’heure, il faut se contenter, vu le «black-out médiatique», du goutte-à-goutte en provenance du Ministère de l’intérieur algérien et des «hourras de la presse», selon Luis Martinez, spécialiste du Maghreb et professeur à Sciences Po.
Les autorités d’Alger listaient hier l’arsenal trouvé sur le site gazier: «Six fusils-mitrailleurs, 21 fusils d’assaut, deux fusils à lunettes, 2 mortiers avec roquettes, 6 missiles avec rampes de lancement, 2 lance-roquettes, 10 grenades disposées en ceintures explosives.» Une opération de déminage du site gazier était hier en cours. «L’usine a été minée dans le but de la faire exploser», a indiqué la compagnie Sonatrach dans un communiqué.
«La France est tombée dans le piège algérien car l’Algérie a inversé le rapport de forces. Si bien qu’aujourd’hui, Paris est totalement redevable. Cette entente scellée à Alger lors de la visite de Hollande à Alger doit survivre à tous les aléas. On va devoir tout accepter d’Alger dorénavant», avance Luis Martinez. Mohamed Chafik Mesbah, chercheur en sciences politiques à Alger et ancien officier du renseignement algérien, modère ce point de vue: «Je ne dirais pas prisonnier d’Alger mais indubitablement Paris se trouve lié avec le premier cercle de Bouteflika, sachant que des membres de l’armée n’ont pas accepté le survol du territoire. L’assaut donné par les forces spéciales est une réponse de l’armée: nous ne serons pas les sous-traitants de Paris dans la région dans cette affaire malienne.»
Luis Martinez se montre, lui, très critique sur les conséquences diplomatiques de l’assaut sur le complexe gazier: «C’est du pain bénit pour Alger d’avoir la France qui légitime cette action violente, qui applaudit et qui rend hommage. C’est une situation terrible au regard de notre position il y a vingt ans sur ce même régime autoritaire.» Luis Martinez pointe les contradictions de la diplomatie française: «On peut se demander dans ces conditions quelle est notre crédibilité quand on dénonce le régime syrien.»
Mohamed Chafik Mesbah ne souscrit pas à cette idée d’échec diplomatique: «C’est tout simple: Paris a besoin d’Alger. L’alternative n’existait pas. Il fallait éviter une guerre psychologique qui aurait affaibli les pays occidentaux», estime l’ancien officier, qui insiste sur une relation Hollande-Bouteflika scellée depuis plusieurs semaines au grand dam des officiers de l’Etat-major algérien jaloux de cette union et «opposés à cette alliance».
L’idée avancée à Alger d’une reprise en main de l’armée pour affaiblir Bouteflika tient-elle? Mesbah ne lui donne pas crédit. Luis Martinez a une réponse plus prosaïque: «La réponse violente d’Alger est proportionnelle à son incompétence. Alors qu’elle savait que la guerre couvait à ses portes depuis des mois, pourquoi n’a-t-elle pas sécurisé ses propres sites? Pourquoi n’a-t-elle pas pris des dispositions concernant ses frontières?» interroge-t-il.
Jean-Louis Le Touzet
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