(Le Parisien 05/12/2012)
Alors que le Président tchadien sera reçu ce mercredi par François Hollande à l’Elysée, Massalbaye Tenebaye, 53 ans, président de la Ligue tchadienne des droits de l'Homme (LTDH), dresse un portrait ravageur de la situation de son pays sur le plan social et celui des libertés publiques. «Hyperprésidentialisme», «rupture de tout dialogue avec la société civile», «recul de la liberté de la presse».
Qu'attendez-vous de cette rencontre Hollande/Déby?
MASSALBAYE TENEBAYE. Déby est encore au pouvoir parce qu'il est soutenu par Paris. Après plus de vingt ans à la tête de l'Etat, il est temps que cet homme impopulaire qui n'écoute personne, n'a pas d'attention vis-à-vis des populations et opère une main-mise sur les richesses du pays s'en aille. Tout projet politique futur doit inscrire la question de l'alternance en son cœur. L'arrivée des socialistes au pouvoir en France devrait favoriser certaines évolutions.
Hollande abordera-t-il l'affaire Ibni Oumar, opposant disparu lors des événements de février 2008 et membre de l'Internationale socialiste?
M.T. Nous l'espérons. La «question Ibni» doit être inscrite à l'ordre du jour. Le rapport de la commission d'enquête, dont j'ai dirigé l'unité d'investigation, démontre qu'il s'agit d'une disparition forcée. Or la justice tchadienne, prompte à poursuivre des responsables syndicaux ou le directeur d'un journal (celui du N'Djamena Hebdo, ndlr), n'avance pas sur ce dossier.
Un pouvoir qui s'enrichit grâce au pétrole
Malgré la paix avec le Soudan, malgré l'argent du pétrole, la situation sociale est tendue...
M.T. Ces évolutions auraient dû favoriser la redistribution des richesses. Or la main mise du clan Itno (la famille du président, ndlr) sur «les pétro-CFA» est totale. D'un hyper-présidentialisme, le Tchad glisse vers une monarchisation, à cause de l'argent du pétrole. Il y a rupture du dialogue avec l'opposition, avec la société civile mais aussi avec l'Eglise, ce que montre l'expulsion récente de l'évêque de Doba (principale région d'exploitation du pétrole, au sud, ndlr) ou la poursuite de la grève des travailleurs de l'Union des syndicats (les fonctionnaires protestent depuis dix semaines, ndlr). Le régime ne supporte plus la critique. Le nouveau projet de loi sur la presse, qui assimile toute critique de l'institution à une trahison, marque un terrible recul.
Le Tchad pourrait-il connaître son «printemps»?
M.T. Oui, car le ras-le-bol est très profond. Mais il manque un leader charismatique pour le soutenir. Les quelques manifestations aux cris de «Déby dégage» au moment du Printemps arabe ont suscité un déploiement de la police et de l'armée à tous les angles de rues. Déby a une peur bleue de ce type de mouvement.
Le Parisien
Propos recueillis par Pascale Égré, envoyée spéciale à N'Djamena (Tchad)
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