mercredi 9 juin 2010

Nigeria - Les marées oubliées du delta du Niger

(Le Temps.ch 09/06/2010)
Reportage au Nigeria et réflexions sur le brut qui pollue une vaste région africaine dans le plus grand silence, tandis que la planète entière suit de jour en jour la pollution dans le golfe du Mexique
«Les fuites de pétrole dont on ne parle jamais». Le titre barrait la page réunissant les analyses et commentaires de la dernière édition du week-end de l’International Herald Tribune. L’auteur, Anene Ejikeme, de la Trinity University à San Antonio (Texas), s’interroge sur «la pire catastrophe écologique de l’histoire des Etats-Unis». Il ne conteste pas qu’il s’agisse d’un désastre. Mais il estime disproportionnée la couverture médiatique consacrée à l’accident de la plate-forme Deepwater Horizon et à ses conséquences. Son angle d’analyse: la comparaison avec ce qui se passe au Nigeria. Depuis 1958, début de l’exploitation pétrolière dans ce géant d’Afrique, quelque 13 millions de barils de brut se sont déjà déversés dans le delta du Niger. Soit une catastrophe équivalente au naufrage de l’Exxon Valdez qui se répéterait chaque année pendant 50 ans. Mais qui s’en émeut?
Anene Ejikeme parie que même le dernier habitant des terres reculées du delta du Niger est au courant qu’un puits de pétrole crache du brut dans le golfe du Mexique. En revanche, le grand public aux Etats-Unis et en Europe ne sait rien des pollutions qui empoisonnent la vie de 30 millions de Nigérians massés dans le delta du Niger. Ceci alors que le Nigeria compte parmi les cinq plus grands pays approvisionnant les Etats-Unis en pétrole. Ou encore qu’une compagnie comme Shell, qui vend son pétrole dans une centaine de pays, est dépendante du Nigeria pour 40% de sa production.
Un reporter du Guardian s’est rendu au Nigeria pour mesurer l’étendue des dégâts. Son reportage dans les marécages du delta du Niger est un témoignage accablant pour l’industrie pétrolière: «La quantité de pétrole qui s’échappe chaque année des terminaux, des oléoducs, des stations de pompage et des plates-formes pétrolières dépasse de loin tout ce qui est en tain de se déverser dans le golfe du Mexique», écrit-il.
Avec 606 champs pétrolifères, le delta du Niger fournit 40% du total des importations américaines de brut. «C’est la capitale mondiale de la pollution pétrolière». L’espérance de vie est tombée à 40 ans à peine depuis deux générations. «La population locale maudit le pétrole qui pollue ses terres et trouve incroyable les efforts déployés par BP et les autorités américaines pour colmater la brèche dans le golfe du Mexique et protéger le littoral de Louisiane contre la pollution.» Le journaliste cite un responsable au Nigeria de l’organisation écologiste «Friends of the Earth International»: «Les Nigérians sont stupéfaits de voir le président américain prononcer un discours par jour, parce qu’eux n’entendent pas un mot de la part de leur gouvernement.»

mercredi9 juin 2010
Francois Modoux
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