jeudi 21 juillet 2011

Somalie : pourquoi l'ONU parle de famine

(Le Monde 21/07/2011)

L'annonce était attendue depuis plusieurs jours : mercredi 20 juillet, l'ONU a déclaré que deux régions du sud de la Somalie, le sud de Bakool, et Lower Shabelle, où sévit une très grave sécheresse, sont frappées par la famine. Jusqu'à 350 000 personnes souffrent de famine dans ces deux provinces, estiment les Nations unies. "Si nous n'agissons pas maintenant, la famine va s'étendre aux huit régions du sud de la Somalie dans les deux mois à venir, en raison de mauvaises récoltes et de l'apparition de maladies infectieuses," a averti Mark Bowden, coordinateur humanitaire des Nations unies pour la Somalie.
Depuis plusieurs semaines, l'ONU ainsi que les ONG présentes sur place tiraient la sonnette d'alarme sur la sécheresse sévissant dans la Corne de l'Afrique, qualifiant de "grave crise humanitaire" cette situation. Le terme de "famine" a officiellement été employé par l'ONU mercredi. Comment détermine-t-on si un pays est en état de famine ? Quelles en sont les conséquences ?
Qu'entend-on par famine exactement ?
Selon l'ONU, le mot famine désigne "une crise alimentaire extrême dans laquelle les enfants, mais aussi les adultes, meurent de faim", précise l'organisation dans un communiqué. Concrètement, on parle de famine quand le taux de malnutrition aiguë oscille entre 20 et 40 % chez les adultes et les enfants et que le taux de mortalité dépasse les deux décès par jour pour 10 000 habitants. Celui de la Somalie se situe à 7,4.
Le principal outil de mesure de la faim chronique dans le monde est le "cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire" (IPC). Ce système classifie la situation dans un pays ou une région du monde sur cinq niveaux : sécurité alimentaire, insécurité alimentaire, crise alimentaire, urgence humanitaire et enfin famine ou catastrophe humanitaire.
Quels sont les niveaux IPC en Somalie, au Kenya et en Ethiopie ?
En Somalie, la plupart des analystes s'accordent désormais pour appliquer le niveau 5 à l'ensemble du pays. Les conflits et la sécheresse y ont provoqué la pire famine de la région. "Nous avons prévenu la communauté internationale il y a un an", explique Elysabeth Byrs, porte parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, "mais c'est maintenant la seconde année de sécheresse consécutive et la situation a vraiment empiré. Il faudra attendre la prochaine saison des pluies en 2012 pour qu'éventuellement, les choses s'améliorent".
La situation est également très préoccupante dans le nord du Kenya. "Mais le niveau de malnutrition aiguë oscille autour de 15 %. Le pays se situe donc plutôt au niveau 4", estime Camilla Knox-Peebles, analyste de l'ONG Oxfam à Nairobi.
En Ethiopie en revanche, la situation est plus difficile à évaluer. "Le pays n'a pas pleinement implémenté l'outil d'évaluation IPC. Il en est encore à la phase 'pilote'", explique un analyste de l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture FAO à Addis-Abeba.
Qui a établi ce système ?
En 2005, lors de la famine qui a frappé la Somalie, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) a établi les critères pour déterminer l'IPC. C'est aujourd'hui un outil qu'utilisent plusieurs agences pour évaluer la famine dans de nombreuses régions du monde.
Sur quels critères est-il basé ?
L'IPC se décline en un grand nombre d'indicateurs, comme la malnutrition, l'accès à l'eau, ou encore des critères économiques. "Nous accordons une attention particulière au nombre de calories. L'état de malnutrition est déclaré en dessous de 2100 kilocalories par jour par personne, explique Camilla Knox-Peebles. Mais c'est parfois compliqué. Il faut non seulement prendre en compte la nourriture disponible dans le pays, mais aussi considérer que la population n'a pas forcément les moyens de se la procurer."
Qui collecte les informations ?
Les ONG, les Nations unies et les gouvernements possèdent leurs analystes qui travaillent ensemble. Mais collecter des données exactes est parfois très compliqué : "C'est un des défis les plus importants, estime Camilla Knox-Peebles. Dans des pays comme la Somalie, il faut donc recouper les informations, estimer les données manquantes, etc." En Somalie, les insurgés islamistes d'Al Chabaab ont longtemps freiné l'aide internationale. Mais ils respectent désormais leur engagement de laisser les convois et les travailleurs humanitaires circuler librement.
Qui décide de l'établissement du niveau ?
C'est le gouvernement du pays concerné qui a le dernier mot. Pourtant, dans le cas de la Somalie, c'est l'ONU qui se prononcera. "Certainement parce que le gouvernement est trop faible. Il n'ont pas une aura politique suffisante pour attirer l'attention de la communauté internationale comme peut le faire l'ONU."
A quoi sert cette classification ?
L'IPC permet aux travailleurs humanitaires et à la communauté internationale d'avoir une idée précise de la nature de l'aide à apporter. Mais aussi à motiver les donateurs. "Pour le cas de la Somalie, ça sera vraiment un plus. La communauté internationale est déjà consciente de la situation. Cela sera certainement un petit plus pour consolider l'aide humanitaire", espère Camilla Knox-Peebles. La FAO organise une réunion en urgence lundi 25 juillet à Rome. Le but : convaincre les pays membres d'agir rapidement.
Antoine Bouthier

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