Soupçonné de manigancer des fraudes à la présidentielle d'octobre et d'attiser les tensions ethniques, le pouvoir guinéen accuse l'opposition de comploter pour le retour d'un régime militaire, une crise dans laquelle la communauté internationale risque de devoir jouer les arbitres.
"Après lui, c'est lui", promet le slogan placardé depuis des semaines à travers la capitale, Conakry, par les partisans du président. "Réélection du Pr Alpha Condé au 1er tour" le 11 octobre, proclamaient leurs banderoles à son retour de Washington et Paris le 24 avril.
Un triomphalisme avant même l'ouverture de la campagne qui attise les craintes de l'opposition: persuadée d'avoir été flouée aux élections précédentes, elle redoute que le pouvoir ne se serve des exécutifs communaux qu'il a désignés, faute de scrutin à cet échelon depuis 2005, pour orchestrer des fraudes.
"Pour le moment nous sommes dans la rue, nous poussons nos militants dans la rue et ça, nous allons le faire autant de fois qu'il le faut" pour obtenir des élections locales avant la présidentielle, affirme à l'AFP l'ex-Premier ministre Sidya Touré.
Après une journée "ville morte" à Conakry le 2 avril, suivie de manifestations interdites, l'opposition tente de mobiliser la rue dans toute la Guinée. Les heurts entre protestataires et forces de l'ordre ont fait plusieurs tués et des dizaines de blessés.
Une contestation impossible il y a quelques mois encore, en raison des mesures sanitaires contre l'épidémie d'Ebola, désormais en nette décrue.
Dans une tentative de décrispation, le président Condé recevra vendredi le chef de l'opposition, l'ex-Premier ministre Cellou Dalein Diallo, "en vue d'aller vers des élections libres, crédibles et transparentes".
Malgré ce tête-à-tête politique - le premier depuis trois ans - entre les deux rivaux du second tour de la présidentielle de 2010, l'opposition a maintenu ses appels à manifester jeudi à Conakry et le 11 mai à l'échelle nationale jusqu'à satisfaction de ses revendications.
- 'Tension permanente' -
Dans une récente interview à Paris au journal Le Monde, Alpha Condé a accusé ses opposants de se fixer pour "objectif de créer le chaos, d'avoir beaucoup de morts pour arriver à une crise grave et au final un coup d'Etat militaire", assurant que les exécutifs locaux ne joueraient "aucun rôle" à la présidentielle.
Après une déclaration commune des dirigeants de l'opposition le 24 mars considérant que M. Condé avait perdu "toute légitimité", son ministre des Affaires étrangères François Louncény Fall dénonçait une volonté de rendre "le pays ingouvernable, et pousser l'armée à intervenir".
Mais si les opposants se défendent de toute velléité de retour en arrière, ils se réfèrent au régime militaire de Lansana Conté (1984-2008) pour reprocher à Alpha Condé d'exacerber les tensions.
"J'ai été Premier ministre du général Lansana Conté, je peux vous assurer que c'était beaucoup mieux que ça", déclare Sidya Touré, citant l'économie, mais aussi "les libertés publiques mieux préservées, les tensions ethniques et communautaires cent fois moindres".
Selon lui, le désenchantement est à la mesure des attentes de la population à l'avènement d'un pouvoir civil, après un demi-siècle d'autoritarisme et de coups d'Etat militaires. "Cette tension permanente, c'est sa culture à lui", assène M. Touré à propos du chef de l'Etat.
L'opposition dénonce en outre une aggravation des clivages politico-ethniques, en particulier au détriment de la communauté peule.
Dans la circonscription de M. Diallo à Conakry, aux législatives de 2013, les chefs de quartier désignés par les autorités "ont extrait toutes les cartes (électorales) qui portaient les patronymes des ressortissants de ma communauté, présumés automatiquement militants de l'opposition, pour les jeter à la poubelle", affirme l'intéressé à l'AFP.
A l'étranger, le combat de l'opposition "est mal compris", regrette-t-il, "les gens ne voient pas tout le processus et la frustration qui naît de cette ruse utilisée par Alpha Condé".
Mais, selon Peter Pham, directeur du département Afrique à l'Atlantic Council, un groupe de réflexion basé à Washington, "la lune de miel est bien finie" entre l'ancien opposant historique et la communauté internationale.
"Après ce qu'il s'est passé au Burkina Faso et au Nigeria, Washington et ses partenaires européens sont beaucoup plus sourcilleux sur la démocratie en Afrique", souligne l'analyste, escomptant un processus électoral "plus étroitement surveillé qu'il ne l'aurait été il y a un an".
"Ce qui arrivera dans les six prochains mois dépendra de celui des deux camps qui sentira le mieux dans quel sens souffle le vent" de la politique internationale, prédit-il.
Selim SAHEB ETTABA
http://information.tv5monde.com
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