Sur une piste rouge sillonnant la dense forêt équatoriale, apparaissent
soudain d'imposants engins agricoles, des tracteurs et des camions
transportant des centaines d'ouvriers. C'est la fin de la journée de
travail sur la plantation d'hévéas de Batouri, dans le nord du Gabon.
Hommes et machines regagnent la ville de Bitam et les villages
avoisinants. La plantation doit à terme compter 28.000 hectares
d'hévéas.
Ce projet colossal dont le maître d'œuvre est le géant
singapourien Olam génère la controverse: ses défenseurs y voient une
promesse de diversification d'une économie de rente pétrolière à bout de
souffle; ses détracteurs critiquent son impact environnemental, social
et culturel.
Face à la promesse de 400 millions de dollars
d'investissements, d'une usine de transformation du caoutchouc et de
5.000 emplois à terme, le pouvoir gabonais a ouvert ses portes.
"Ce
projet permet de développer le Gabon" et son milieu rural, assure Gagan
Gupta, le patron d'Olam Gabon, qui a aussi lancé des plantations de
palmiers à huile dans le pays.
"C'est 3.000 personnes qui
travaillent (...) et 5.000 en comptant les emplois indirects. Et elles
ne travaillent pas pour seulement quatre à cinq années, mais pour au
moins 45 à 50 années. C'est un projet de développement durable",
assure-t-il.
Une analyse que tout le monde ne partage pas. "Allez
voir en Malaisie, en Indonésie!", où le groupe a d'immenses plantations,
s'insurge Franck Ndjimbi, auteur d'un rapport pour les ONG World
rainforest movement et FERN.
"Les retombées sociales et
économiques sont surestimées", dit-il. "C'est un projet qui a été mal
pensé parce qu'il a été imposé", selon lui.
Il estime qu'"avec ces
plantations, les populations risquent d'être transformées en ouvriers
agricoles": elles sont implantées dans une région où vivent des milliers
de petits exploitants.
- Du caoutchouc pour l'effort de guerre -
Dans
la forêt autour de la plantation de Batouri, les villageois cultivent
manioc, banane, tubercules et cacao tout en "saignant" d'innombrables
hévéas sauvages. De petites coupelles sont attachées au bas des arbres,
dont les écorces sont entaillées pour faire couler le latex.
La
première plantation d'hévéas dans le secteur date de 1914-1918, quand le
colonisateur français voulait du caoutchouc pour son effort de guerre,
explique Dieudonné Minlama, qui préside un collectif d'ONG de lutte
contre la pauvreté, puis "les plantations ont été abandonnées et l'hévéa
s'est propagé dans la forêt".
Ce collectif est favorable au
projet Olam: il estime qu'il va créer des emplois, susciter le
développement d'infrastructures autour de la plantation et globalement
favoriser l'activité dans la région.
Pour le moment, la plantation
de Batouri compte 5.000 arbres qui seront à maturité dans huit ans.
Mais pour planter, Olam a dû déforester, faisant craindre une atteinte à
la biodiversité.
"Il va y avoir sans doute de l'épandage,
l'utilisation d'engrais, des pesticides... Ca nous amène à nous
interroger sur les impacts environnementaux. D'autant que les études ont
été menées à la va-vite et leur validation ressemble plus à une
formalité administrative qu'à un vrai outil de développement durable",
dénonce M. Ndjimbi.
Le patron d'Olam Gabon, Gagan Gupta, rétorque
que son groupe respecte "les normes" et qu'il a signé des "contrats
sociaux" avec les villages: il achètera aux petits exploitants leur
production, il a installé l'électricité et l'eau dans de nombreux
villages et a rénové les pistes de cette zone enclavée.
Dans les
villages, certaines maisons en bois aux toits en tôle sont neuves. Les
pompes à eau et panneaux solaires siglés Olam sont légion. Pourtant de
nombreux habitants restent sceptiques.
- 'Olam a gaspillé la forêt' -
"Les
problèmes ne manquent pas. Ils ont construit des pompes mais avec
l'afflux de population, il n'y a plus d'eau. On est obligé de creuser
des puits", explique l'un d'eux sous couvert de l'anonymat.
"Olam
a gaspillé la forêt. Des bois sacrés, des totems... Je travaille à Olam
mais c'était mieux avant", poursuit-il, en soulignant qu'il y a
"beaucoup d'étrangers, Camerounais, Tchadiens, Nigérians, avec des
problèmes de cohabitation".
Selon M. Gupta, les Gabonais
bénéficient normalement d'une priorité à l'embauche et composent 97% des
effectifs d'Olam. Mais des dizaines d'immigrés venus jusque du Mali
travaillent aussi à Batouri.
Si certains ouvriers se disent
"heureux d'avoir du +taf+" dans un pays où le taux de chômage est
supérieur à 20%, beaucoup se plaignent.
"Travailler à Olam c'est
dur. Je gagne 150.000 F CFA (230 euros) par mois. Six jours par semaine,
nous commençons à 6h30 pour terminer à 14h30. Je pars de chez moi à 4h.
La paie n'est pas bonne par rapport au travail", raconte un immigré
malien.
"La paie, c'est pas ça! C'est pourquoi il y a des grèves", abonde Aurélien Mengue, un Gabonais.
Gagan
Gupta répond: "Olam ce n'est pas une société qui gagne en +coupant+
10.000 francs (15 euros) de quelqu'un", c'est-à-dire en retenant cette
somme sur son salaire.
"Olam, c'est 20 milliards de chiffre
d'affaires (environ 30 millions d'euros). On paie normalement tous ceux
qui sont réguliers (assidus) mais pour ceux qui ne le sont pas, c'est
normal qu'on coupe. C'est un problème de compréhension et non de
paiement", assure-t-il.
Dieudonné Minlama estime qu'il faudra
"encore du temps" pour que le projet Olam que son collectif soutient
soit accepté par les populations locales, "notamment pour que les
activités génératrices de revenus pour les villages soient mises en
œuvre". "A partir de là, tout ira mieux".
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