mardi 18 décembre 2012

François Hollande en Algérie: une visite à haut risque

(JOL Press 18/12/2012)

Pour sa première visite en Algérie, François Hollande devra manier tact et diplomatie face à son homologue Abdelaziz Bouteflika. Alors que les relations franco-algériennes sont délicates depuis plusieurs décennies, les deux présidents sont fermement décidés à rendre cette visite historique. Économie, dossier malien, repentance : les dossiers abordés par les deux chefs d'État seront pourtant délicats.
La visite de François Hollande, les 19 et 20 décembre prochains, est très attendue en Algérie. Depuis plusieurs semaines, Alger, la capitale, est passée au karcher, les rues sont nettoyées, les immeubles sont ravalés, dans l’attente de la traditionnelle parade du Président, au côté de son homologue Abdelaziz Bouteflika.
Pour une relation bilatérale forte et dynamique
Un nettoyage de printemps pour une visite que les deux parties souhaitent historique. Depuis plusieurs semaines, en France comme en Algérie, les déclarations se suivent pour annoncer les grands programmes de ce voyage chargé tant en termes d’évènements que de messages attendus par les Algériens.
L’invitation a été lancée par Abdelaziz Bouteflika en personne, et durant ces deux jours, les deux hommes auront sans doute beaucoup à échanger afin de remettre à l’ordre du jour une entente en dents de scie depuis la fin de la colonisation française, il y a cinquante ans.
Cette entente, Abdelaziz Bouteflika la veut rayonnante et tournée vers l’avenir. C’est en tous cas ce que le président algérien a confié à des journalistes de l’AFP à l’occasion d’une interview exclusive.
« L’Algérie est favorable à une relation forte et dynamique avec la France, fondée sur la densité des liens et les nombreux intérêts qui unissent nos deux pays », a ainsi déclaré Abdelaziz Bouteflika quelques jours avant la visite de François Hollande.
Le président algérien a l’ambition de construire un « partenariat d’exception » avec la France, un partenariat dont les formes « importent peu finalement : c’est sa consistance qui est essentielle. » L’objectif est de « construire un partenariat qui résiste aux contingences et qui dépasse les seules relations commerciales où chacun réduit l’autre à un débouché », a ajouté le président Bouteflika lors de son interview à l’AFP.
Une quinzaine d’accords commerciaux devrait être signée
Car l’économie devrait être au cœur des entretiens que tiendront les deux présidents. Une quinzaine d’accords de coopération devraient être signés entre les deux pays et côté algérien, l’attente est grande.
Car le modèle français, malgré la crise, fait des envieux de l’autre côté de la Méditerranée. Dans un éditorial du quotidien El Watan, Ihsane El Kadi estime que l’Algérie a « tout intérêt à soutenir le modèle français ».
« Si l’histoire est restée un obstacle au partenariat d’excellence que souhaitent construire les deux pays, la sociologie historique de leur capitalisme les rapproche. L’Algérie est le pays de la rive sud Méditerranée qui ressemble le plus à la France dans son action publique. Intervention de l’État, part du secteur public, accès à l’éducation, niveau de pression fiscale. Le modèle d’économie sociale de marché français est celui vers lequel tendent le plus intuitivement les élites économiques algériennes. À une différence de taille. La France a développé de grandes entreprises qui font d’elle le 6e exportateur au monde », indique encore l’éditorialiste
La France devra rassurer l’Algérie
Si les deux présidents auront tout intérêt à se retrouver sur le terrain de l’économie, leur entente ne sera sans doute pas aussi évidente sur le dossier malien, qui sera bien entendu au cœur des conversations.
Alors que le président algérien s’est toujours prononcé en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en préférant le dialogue à l’intervention militaire étrangère, il a récemment admis que le plan de la communauté internationale en faveur de la libération du Mali, envahi par plusieurs groupes islamistes depuis le coup d’État du 22 mars dernier, pourrait être envisageable.
L’islamisme est « une menace globale qui n’a pas de nationalité, ni de région ou de religion d’appartenance », a affirmé le président algérien. Il est « normal que le Mali bénéficie de l’appui de la communauté internationale pour son éradication. »
À la question de savoir si l’Algérie, située au nord du Mali, accepterait que la France et les États-Unis interviennent dans le conflit par une aide financière et technique, Abdelaziz Bouteflika a affirmé que son pays « continue d'œuvrer dans la limite de ses moyens à mobiliser les pays de la région et à fournir une aide appropriée pour lutter contre ce fléau. »
Lors d’une interview à France 24, TV5Monde et RFI, François Hollande a estimé que le rôle de la France était de rassurer l’Algérie quant à la future intervention internationale au Mali.
« L'Algérie a payé un tribut suffisamment lourd pour lutter contre le terrorisme pour que je vienne lui donner la leçon. Elle sait ce qu'il y a à faire et ce qu'il y a à redouter. En revanche, il est vrai que l'Algérie regarde aujourd'hui avec distance une possible intervention. […] Donc à moi de rassurer l'Algérie, dire ce qui va se passer, c'est l'affaire des Africains. Ce qui doit se faire, c'est lutter contre le terrorisme. Ce n'est pas de faire je ne sais quelle occupation d'un territoire », a déclaré le Président.
Sensible sujet de la repentance
La question de la repentance, sujet sensible entre les deux pays, sera nécessairement abordée avec précaution. Pour ce voyage, François Hollande s’est entouré de spécialistes de la question. Parmi eux, Georges Morin, président du groupe France-Algérie au sein des Cités unies.
Dans un entretien accordé au Journal du Dimanche, Georges Morin estime que François Hollande a toutes les chances de son côté pour aborder le sujet de la repentance avec tact.
« François Hollande est vierge de tout passé et de tout contentieux avec l’Algérie. Il a la chance aussi d’avoir en face de lui un président Bouteflika qui souhaite réconcilier les deux pays après avoir été l’un des premiers à prendre le maquis contre la France à l’âge de 17 ans », a estimé Georges Morin au JDD.
« Il s’adressera bien sûr aux Algériens mais également, de là-bas, à tous les Français, pour saluer la mémoire de ceux qui sont morts, quelles que soient leurs souffrances : militaires, civils, fonctionnaires, maquisards, juifs d’Algérie, Européens rapatriés victimes d’un déracinement tragique », a-t-il ajouté.
« Ce n’est pas faire repentance que de vouloir purger le passé. Aujourd’hui, tous ceux qui veulent savoir ce qui s’est passé entre 1832 et 1962 savent que la République a foulé aux pieds ses propres valeurs. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy se sont déjà exprimés sur l’injustice du système colonial, il suffit donc de continuer ce devoir de lucidité et de s’engager résolument dans une relation d’avenir », a encore affirmé Georges Morin.

Ecrit par Sybille De Larocque - publié le 18/12/2012
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