(La dépèche diplomatique 29/04/2013)
Quand, dans l’extrême urgence (mais non sans avoir été
rigoureusement préparée à défaut d’être pensée dans le long terme), la France
est intervenue militairement au Mali le 11 janvier 2013 (bientôt quatre mois !),
c’était pour empêcher une apocalypse « islamo-terroriste » qui devait submerger
l’Afrique de l’Ouest avant de frapper l’Europe du Sud et en premier lieu la
France.
Il n’aura pas fallu longtemps (mais beaucoup de moyens techniques
et humains) pour faire déguerpir les « islamistes » devenu, par la grâce de la
diplomatie, des « terroristes ». Dans cette affaire, quoi qu’on en dise, Bamako
est restée l’arme au pied. Et la Cédéao a beaucoup plus discutaillé que
bataillé. L’intervention française – soutenue par les troupes tchadiennes (36
tués et 74 blessés !) – a désorganisé les réseaux « islamo-terroristes »*,
détruit des tonnes d’armes et désintégré plusieurs centaines de
combattants.
Mais, plus d’un an après la chute du régime d’Amadou Toumani
Touré (qui se la coule douce du côté de Dakar), on est revenu à la case départ.
A Bamako. Et ceux qui pensent qu’élections et réconciliation vont permettre de
changer le donne devraient jeter un œil sur Abidjan où, avec plus de moyens
diplomatiques, économiques et humains, la situation est loin d’être stabilisée
deux ans après la prestation de serment du nouveau président de la
République.
Il n’est plus personne pour croire les balivernes qui nous
ont été assénées au cours de l’année passée. Et quand on relit les déclarations
des Maliens comme de leurs partenaires on est atterré. Après avoir, nous dit-on,
évité le pire (la prise de Bamako par les « islamo-terroristes ») on nous a
promis le meilleur : stabilisation ; élections ; réconciliation. Stabiliser,
c’est le job de la Mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au
Mali (Minusma) dont le conseil de sécurité vient de décider, aujourd’hui (jeudi
25 avril 2013), la création : 12.640 Casques bleus** (dont 1.440 policiers) – y
compris les bataillons de réserve – devraient être déployés à compter du 1er
juillet 2013 pour une période initiale de douze mois. Un millier de soldats
français vont rester au Mali pour intervenir « en soutien à des éléments de
Minusma en cas de danger grave et imminent les menaçant et à la demande » du
secrétaire général de l’ONU ».
Autrement dit personne ne peut croire que
tout va bien se passer pour la Minusma : les effectifs français, actuellement de
3.850 soldats, seront encore 2.000 en juillet et 1.000 à la fin de l’année. Les
Casques bleus, dans cette affaire, feront de la figuration : stabilisation des
centres urbains essentiels, protection des civils et du patrimoine culturel,
contrôle du respect des droits de l’homme, aide aux autorités maliennes pour
instaurer « un dialogue politique national », organiser des élections « libres,
équitables et transparentes », promouvoir la réconciliation avec les Touareg.
Une mission pour laquelle un représentant spécial de l’ONU pour le Mali va être
nommé (on évoque les noms d’Aïchatou Mindaoudou, numéro deux de la mission de
l’ONU au Darfour, ex-ministre nigérienne des Affaires étrangères, et de Bert
Koenders, un Néerlandais, chef de la mission de l’ONU en Côte
d’Ivoire).
Mais le déploiement de cette mission ne sera possible qu’avec
« la fin des principales opérations de combat par les forces armées
internationales » et une « nette réduction de la capacité des forces terroristes
de constituer une menace importante ». Autrement dit, il est peu probable que le
calendrier soit respecté.
A New York, personne n’est dupe. « Il est
inhabituel de lancer une opération de maintien de la paix alors qu’il n’y a pas
de paix à maintenir », note un diplomate tandis que d’autres évoquent « un
certain défi » pour l’ONU, de « nombreux risques », « des menaces inédites
».
Jean-Yves Le Drian, notre ministre de la Défense, est sur le terrain
pour « préparer l’après-guerre » : Bamako, Gao mais aussi Niamey et N’Djamena.
Dans la capitale malienne, il va « adresser un message de confiance aux
autorités politiques maliennes afin que les Maliens se saisissent de l’avenir de
leur pays » souligne un communiqué du ministère de la Défense. C’est une façon
de dire que personne ne fait confiance aux Maliens. Ni les diplomates, ni les
militaires. « Inertie » est le mot employé au Quai d’Orsay pour caractériser le
comportement de la classe politique. Du côté de l’hôtel de Brienne, c’est pire
encore. Et les commentaires (Le Monde daté du 23 avril 2013) du colonel Bruno
Heluin, qui dirige le détachement de liaison de la mission européenne de
formation de l’armée malienne (UETM), ont fait tilt : « L’exemple n’est pas
donné par en haut. Le clientélisme est le mode de promotion ».
Héluin
évoque les 104 généraux que comptait l’armée malienne (20.000 hommes) avant le
coup d’Etat de 2012 rappelant qu’il y en a 150 en France pour 120.000 hommes !
Bamako s’agace de ces commentaires ; c’est oublier que la France « paye » : plus
de 200 millions d’euros depuis le 11 janvier 2013 ! Lors du débat au parlement
français sur la poursuite de l’opération militaire (342 députés et 326 sénateurs
ont voté pour, aucune voix contre, seuls les élus du Front de gauche se sont
abstenus), le député UMP Pierre Lellouche a posé la bonne question : « A qui
allons-nous rendre les clés ? ».
Un expert français, quant à lui, évoque
la nécessité d’une « diplomatie du coup de pied au cul ». La France a la
chicotte qui la démange et le nouvel ambassadeur, Gilles Huberson, a pour
consigne de « tenir les rênes courtes » aux responsables politiques. Tout le
monde a conscience, désormais, que le problème du Nord-Mali est d’abord le
problème de la gouvernance à Bamako. C’est pourtant un problème qui ne date pas
d’aujourd’hui.
Et encore, tous ces commentaires font l’impasse sur la
situation qui prévaut à Kidal et la place que le MNLA peut occuper dans la
politique de réconciliation. Or, c’est là que le bât blesse depuis toujours.
Nous voilà donc revenus à la veille des événements du 17 janvier 2012 quand les
Touareg ont déclenché la « guerre » contre Bamako. Et, seize mois plus tard,
c’est Rémy Ourdan qui, dans Le Monde (daté du 23 avril 2013), pose les bonnes
questions : « Pourquoi déployer des armées dans un pays où il n’y a plus de
guerre à mener ? Pourquoi envoyer des guerriers sur un « champ de bataille » où
ils n’ont plus d’ennemi ? Et pourquoi, lorsqu’il s’estime libéré et souhaite
prendre son destin en main, occuper militairement un pays ? ».
C’est
Kadré Désiré Ouédraogo, président de la Commission de la Cédéao, qui a donné les
réponses à ces questions à l’issue des travaux de la 4ème réunion du groupe de
suivi et de soutien (GSS) sur le Mali : 1 – « La situation est favorable au
retour d’une paix durable. Il s’agit maintenant de parachever les acquis en
réussissant l’organisation des élections prochaines » ; 2 – « La renonciation du
MNLA à la violence et de son projet sécessionniste est une condition minimale à
remplir avant son acceptation dans tout processus de dialogue » ; 3 – « L’ennemi
a, pour le moment, disparu mais il peut resurgir à tout moment et en tout lieu
».
Autrement dit, la commission « dialogue et réconciliation » doit faire
son boulot. Et son boulot c’est d’aboutir à la « réconciliation » par le «
dialogue ». Sans quoi, il est clair et net pour tout le monde que le Mali va
retomber dans les errements des mois et des années passées. La question finale
est de savoir si les Maliens ont cette volonté et sont prêts à s’en donner les
moyens. Il faut l’espérer : la situation de ce pays occupé par des armées
étrangères et sous tutelle des Nations unies est honteuse.
* On n’évoque
plus les réseaux mafieux qui ont fructifié dans le Nord-Mali et ont « nourri »
les rébellions au cours des dernières décennies. Et dont nombre de protagonistes
(et profiteurs) ont été des « élites » du Nord mais aussi du Sud.
** A
noter que la MISMA, la force panafricaine, compte 6.300 hommes, y compris les
Tchadiens. C’est dire qu’il va falloir du temps, beaucoup de temps, pour que la
Minusma monte en puissance.
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche
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