(Afrikarabia 04/04/2013)
Journaliste belge, Philippe Brewaeys démonte l’une des plus
extraordinaires machinations judiciaires de l’histoire de France : l’enquête
biaisée menée par le juge Jean-Louis Bruguière sur l’attentat du 6 avril 1994 au
Rwanda, attentat qui fut l’élément déclencheur du génocide des Tutsi.
Le
6 avril 1994 à 20 h 23, deux missiles sont tirés contre l’avion du président
rwandais Juvénal Habyarimana. L’appareil en phase d’atterrissage explose, ses
occupants sont tués sur le coup. Parmi eux, les trois Français qui composent
l’équipage et le président de la République du Burundi, Cyprien Ntaryamira.
Presque aussitôt, les extrémistes hutu accusent les Casques bleus belges de la
Mission des Nations unies pour le Rwanda (MINUAR). Au même moment, ils dressent
partout des barrages, tuent les Tutsi qui passent, assassinent les personnalités
modérées du gouvernement. Dix militaires belges de la MINUAR sont abattus. Le
génocide commence. En cent jours, environ un million de personnes seront
exterminées : les trois-quarts des Tutsi du Rwanda et aussi des Hutu démocrates
ou qui ont le malheur de présenter “la morphologie tutsi”.
Aussi
longtemps qu’ils contrôleront l’épave de l’avion présidentiel, les extrémistes
hutu interdiront son accès. Et après le génocide, tous les protagonistes de la
tragédie auront d’autres priorités que d’enquêter sur l’attentat. Tous ?
Corrigeons : le mercenaire français Paul Barril, capitaine de gendarmerie en
disponibilité, a été missionné par Agathe Habyarimana - la veuve du président
rwandais - pour incriminer le Front patriotique rwandais dans l’attentat. Dès le
mois de juillet 1994, Barril tente de déposer une première plainte en son nom et
se répand dans les médias. Le quotidien Le Monde publie ses élucubrations. La
plainte n’est pas considérée comme recevable.
Quatre ans plus tard,
Barril est à la peine. Dans Le Figaro, le journaliste Patrick de Saint-Exupéry a
produit une série de révélations sur l’implication de l’Etat français dans le
génocide. Les parlementaires s’apprêtent à créer une mission d’information qui,
inévitablement, convoquera le mercenaire. Astucieusement, Barril pousse Sylvie
Minaberry, la fille du copilote du Falcon du président Habyarimana à porter
plainte. Cette fois, un juge d’instruction est nommé : Jean-Louis Bruguière. Les
parlementaires français n’ont pas le droit d’interférer dans le cours d’une
procédure judiciaire : ils n’oseront pas interroger Paul Barril et se garderont
de conclure sur l’identité des auteurs de l’attentat du 6 avril 1994.
Le
responsable de cet attentat ? Le juge Jean-Louis Bruguière en est vite convaincu
par Paul Baril et ses amis : c’est le Front patriotique rwandais et son chef
militaire, Paul Kagame. En 2006, le juge français lance une série de mandats
d’arrêt. Peu importe si l’une des personnes visées n’existe pas… Le Rwanda rompt
ses relations diplomatiques avec la France.
Dans « Rwanda 1994. Noirs et
Blancs menteurs » , le journaliste d’investigation Philippe Brewaeys démêle les
fils de cette instruction biaisée, manipulée, qui visait à accuser Paul Kagame
d’avoir délibérément voulu le génocide pour reprendre la guerre au Rwanda... et
la gagner contre une armée mieux équipée et deux fois plus nombreuse. La
vraisemblance et la mesure n’embarrassaient pas le juge Bruguière qui instruit
ici “à la hussarde” avec des policiers orientés, des témoins manipulés, des
journalistes et des universitaires stipendiés par certains services de
renseignement, un “interprète assermenté” lui-même ancien espion d’Habyarimana
et qui a des liens familiaux avec sa veuve, Agathe. Autant de « Noirs et blancs
menteurs », un clin d’œil à l’ouvrage polémique de Pierre Péan qui faisait
l’éloge de l’enquête Bruguière, « Noires fureurs, blancs menteurs
».
Philippe Brewaeys a eu accès à des milliers de documents judiciaires,
à des dizaines d’interviews et des centaines de coupures de presse. Ce
journaliste méticuleux et pragmatique démonte une enquête délirante. Ne
dévoilons pas cet ouvrage qu’il faut lire par le menu : achetez-le. Sans aller
au delà de ce que témoins et documents expliquent, Philippe Brewaeys permet de
deviner que l’implication de l’Etat français dans le génocide des Tutsi a pour
significatif reflet la manipulation de l’enquête Bruguière, pour continuer à
dissimuler l’inavouable. On devine ainsi l’agitation dans l’ombre de personnages
qui tirent les ficelles de Barril et qu’au XVIIIe siècle on appelait des
“roués”. Des admirateurs de Talleyrand qui mériteraient le jugement que Napoléon
Bonaparte portait sur ce dernier : “De la merde dans un bas de
soie”.
Bien des vices rédhibitoires de l’instruction Bruguière ont été
relevés ces dernières années. L’expertise balistique de l’attentat, décidée par
les successeurs de Bruguière, les juges Nathalie Poux et Marc Trévidic, a
démontré que les tireurs des missiles se trouvaient dans le camp militaire
Kanombe, tenu par les extrémistes hutu, ou à sa proximité immédiate. La thèse
négationniste accusant Paul Kagame et transformant les victimes en bourreaux a
volé en éclats. Mais Philippe Brewaeys apporte beaucoup plus. Ayant eu accès aux
archives judiciaires belges et à des témoins que le juge Bruguière s’était bien
gardé d’interroger, il démontre mieux que personne à quel point le juge français
a failli, sans qu’on sache la part de bêtise ou d’arrogance à l’origine de ce
naufrage.
Autre grande qualité de son livre à la démonstration impeccable
: il est court (160 pages), clair, très accessible. Inutile d’être un «
spécialiste du Rwanda » pour comprendre toute l’affaire. Il faut aussi préciser
que l’enquête de Philippe Brewaeys a été menée conjointement avec sa consoeur
Catherine Lorsignol, de la télévision francophone belge (RTBF) qui diffusera un
documentaire sur le même sujet, “Rwanda. Une intoxication française” sur Canal+
le 8 avril à 22 h 40 dans Spécial investigation, diffusé ensuite sur la RTBF le
10 avril à 20 h 15 dans Devoir d’enquête.
Jean-François DUPAQUIER
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Afrikarabia
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