(Afrik.com 11/05/2012) Depuis son indépendance acquise en 1974, la Guinée-Bissau se
caractérise principalement par son instabilité politique. Une situation qui a de
lourdes conséquences sur le développement économique et social de cet Etat de
l’Afrique de l’Ouest. Le dernier coup d’Etat perpétré le vendredi 13 avril 2012
vient une fois de plus donc annihiler les espoirs d’une marche vers la
stabilité. Comment comprendre cette situation ?
L’instabilité politique,
qui caractérise la Guinée-Bissau, n’est pas celle de changements politiques
réguliers dans le respect des formes légales mais plutôt opérés par le biais de
la violence. Elle procède donc ici de l’emploi de la violence illégitime pour
s’accaparer le pouvoir et recoupe de ce fait les formes de « fragilité et
d’explosivité » (Alfred Jarry). Cette instabilité politique qui débute dès le
lendemain de l’indépendance de ce pays reste un trait caractéristique. Et un
regard sur l’histoire chaotique de la Guinée-Bissau permet de se rendre compte
que la grande muette est au cœur de tous les troubles politiques post
indépendance. Pourquoi la garante supposée de l’ordre créerait-elle le chaos ?
En réalité, les irruptions et les éruptions de l’armée sur la scène politique
(1980-1985-1999-2009-2012) se réalisent depuis 1973 « …sur fond de décomposition
de l’Etat, par les enjeux liés au trafic de cocaïne », selon l’Humanité
.
Avec le trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe,
l’économie de la drogue serait depuis 2009 supérieure au PIB officiel
(ONU-2009). Pour le consul honoraire de grande Bretagne en Guinée-Bissau, ce
énième coup d’Etat est d’ailleurs le résultat de cette économie de la drogue qui
ne cesse de se développer et qui s’érige de façon croissante en incitation pour
la perpétration des coups d’Etat par l’armée : « the drugs are behind it all »
(la drogue est derrière tout ça). On peut donc avancer l’idée de l’instauration
d’une république parallèle par les militaires : l’armée est non seulement au
centre de ces troubles politiques mais aussi le « garant bénéficiaire » de
l’économie de la drogue, dans laquelle les rivalités, et les dissensions sont
légions. C’est ainsi par exemple que l’ex-chef d’état major de la marine José
Américo Bubo Na Tchubo est considéré comme l’un des piliers de cette république
parallèle. C’est certainement une des raisons pour lesquels ce dernier et le
chef d’état-major de l’armée de l’air Ibrahima Papa Camara sont sous le coup des
sanctions des Etats-Unis.
Dès lors on peut comprendre les craintes de la
« république de la drogue » (« garants bénéficiaires » mais aussi et surtout des
puissants réseaux transnationaux), lorsque le favori aux récentes consultations
électorales Carlos Gomes Junior affichait ses intentions de procéder à des
réformes au sein de l’armée - qui visaient à la réduction des effectifs
pléthoriques qui favorisent son inféodation aux trafiquants de drogue.
L’objectif de Carlos Gomes Junior était alors d’ériger la police en contre poids
face à l’armée - une police qui devait s’attaquer justement au trafic de drogue,
et par la même occasion réduire le rôle déstabilisateur de l’économie de la
drogue. Ce projet, s’il avait vu le jour aurait peut être permis de réduire la
portée de cette économie parallèle sans pour autant y mettre
fin.
L’économie parallèle de la drogue et les violences qu’elle génère
sont les répercutions non intentionnelles des politiques prohibitionnistes.
Celles-ci poussent en effet les trafiquants transnationaux à user de leurs
pouvoirs financiers pour entretenir l’instabilité politique [1] dans les pays de
transit de leurs marchandises. Il reste constant que ces réseaux sont organisés
au sein des marchés illégaux qui sont exclus du système officiel de règlement
judiciaire. La violence illégale est par conséquent la voie privilégiée par les
producteurs pour non seulement régler les « litiges » mais aussi pour assurer la
pérennité de leur commerce. Un commerce dont les bénéfices sont importants du
fait justement de la prohibition Les narcotrafiquants transnationaux fournissent
alors à leurs relais des rentes, qui permettent à ces derniers de mener un train
de vie dispendieux. En retour ces relais assurent la pérennité des transactions
pour sauvegarder leurs rentes. Ceci bien sur à tous les prix. Les potentiels «
gêneurs » sont tout de suite écartés. Ainsi donc le pouvoir financier des
trafiquants crée de fortes incitations pour la préservation et la sécurisation
du trafic. Les désincitations liées à la fin de la prohibition dans les pays
producteurs et consommateurs ne pourraient-elles être une solution ?
Sans
pour autant faire l’apologie de la consommation de la drogue, il va sans dire
que les politiques prohibitionnistes ne résolvent pas le problème de la drogue.
La drogue est de toute façon consommée et au surplus, du fait de la prohibition,
elle génère des réseaux dangereux. La fin des politiques prohibitionnistes liées
à la drogue aura pour effet majeur de réduire le pouvoir des trafiquants,
d’opérer le passage du marché noir de la drogue au marché de la drogue tout
court. L’encadrement de la consommation pourrait être effectué par le biais des
taxes comme c’est le cas avec l’alcool ou le café (qui furent à une époque
prohibés). En suisse par exemple depuis 1994, la loi autorise l’utilisation de
l’héroïne... pour soigner les toxicomanes.
Le problème de la drogue doit
se gérer de manière transparente. La fin de la prohibition pourrait, dans une
certaine mesure, permettre de mettre un terme à des réseaux producteurs et
commerçants mafieux et violents, et de limiter ainsi les instabilités politiques
dans de nombreux pays.
Sali Bouba Oumarou est analyste sur
www.UnMondeLibre.org.
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