(Un Monde Libre 19/11/2010)
En juillet dernier, les institutions de Bretton Woods effaçaient 12,3 milliards de dollars sur un total de 13,7 milliards de dette due par la République Démocratique du Congo (RDC) à ses créanciers multilatéraux (20%) et à ceux du Club de Paris (80%). Comment interpréter cette nouvelle? Selon une première interprétation, cela suppose que chaque Congolais se voit mensuellement allégé de 150 dollars sur les 200 qu’il portait lourdement sur ses épaules depuis plusieurs années. Une seconde interprétation pourrait consister à s’interroger sur la stratégie qu’adoptera ce pays afin de transmuter les 520 millions de dollars d’économies annuelles générées par cet allègement en une source de revenu pour des millions de Congolais qui vivent avec moins de 1,25 dollar par jour. Sous cet aspect, les défis à relever sont de taille.
Flash-back
Un bref retour en arrière permet d’évaluer le parcours effectué par la RDC. À l’aube du présent millénaire, ce pays était en ruines. Une médiocre gouvernance de l’économie et de l’appareil étatique combinée aux conséquences des activités de prédation et les conflits régionaux autour de ses ressources du sol et du sous-sol, avaient fini par parachever la désagrégation de l’économie formelle et du cadre social de ce pays. Par exemple, le taux de croissance moyen entre 1987 et 1997 était négatif (- 5,1%), le PIB par tête était passé de 630 $ en 1980 à 110 $ en 1997, le taux brut d'inscription à l'école primaire était passé de 92% en 1972 à 64% en 2002; parallèlement, les dépenses de santé chutaient de 0,8% du PIB en 1990 à 0,02% en 1998 ! Encore récemment, la RDC affichait une incidence de la pauvreté parmi les plus élevées, soit 71,34%. Chiffres révélateurs de cas de destruction des « capabilités », ces facultés propres à chacun, selon l'économiste indien Amartya Sen, d’exprimer ou de valoriser son potentiel dans un environnement social donné afin d’améliorer son sort.
En RDC, les financements monétaires des déficits budgétaires récurrents ont toujours été désignés comme la principale source des déséquilibres intérieurs et extérieurs. Dans ce cas, les impératifs de stabilisation macroéconomique et financière imposent une drastique cure d’amaigrissement des dépenses courantes de l’État. Durant les sept dernières années, le pays a dû se soumettre à cette thérapie de choc, sans doute au prix des sacrifices sociaux énormes, mais avec les résultats que l’on connait : le taux de croissance du PIB réel affiche un signe positif, le taux de change nominal à l’incertain connait une appréciation remarquable, enfin, selon les récentes projections du FMI, un taux d’inflation de 6% (contre 15% initialement prévu) qui accompagnerait une croissance au taux de 6 %, est attendu pour 2010… Autant d’indices qui marquent un retournement positif du vent et qui, selon les apparences, augurent des lendemains enchanteurs pour ce pays. Toutefois, certaines conditions s’appliquent.
Enjeu et défis
Désormais soulagé d’un lourd service de la dette qui accaparait chaque mois presque la totalité de ses recettes fiscales et ses ressources en devises, on peut s’attendre à ce que l’augmentation des ressources libérées par les annulations pour les dépenses pro-pauvres se traduise en termes d’amélioration de la qualité de vie de 75% de la population; ceux qui, pour paraphraser Robert B. Zoellick (président de la Banque mondiale), « se coucheront tous les soirs le ventre vide ».
La question demeure entière : comment traduire l’atteinte du point d’achèvement en croissance pro-pauvres ?
La réponse semble évidente : par une croissance vigoureuse et durable de la production réelle boostée par des unités de production industrielles et agricoles créatrices d’emplois et donc de revenus. Le hic est que, le déploiement et l’amplification dynamique des effets de telles unités sont conditionnés par au moins deux facteurs : primo, un environnement institutionnel sain, propre à susciter et à mobiliser une masse critique des investissements privés autant nationaux qu’étrangers et, secundo l’efficacité du mécanisme de diffusion par la structure de fonctionnement de l’économie des effets induits dans le tissu socioéconomique du pays. Deux défis particulièrement difficiles à relever dans ce pays aux multiples paradoxes.
En effet, dotée d’immenses ressources humaines et naturelles, la RDC ne manque pas d’atouts pour réduire ou éliminer l’extrême pauvreté et la faim de son territoire. Mais voilà : d’une part, malgré quelques réformes récentes, ce pays occupait en 2009 l’avant dernière place (182ème) sur une liste de 183 pays dans le classement de l’indicateur Doing business – argument qui remet en question la première condition en termes de mobilisation d’unités locales et d’attractivité des investissements directs étrangers (IDE). D’autre part, Transparency International le plaçait à la 162ème position en 2009 contre la 171ème en 2008 dans l’indice de perception de la corruption – argument qui pose la question de la redistribution des gains de croissance et de la propagation des effets induits.
Vers l’éradication de la pauvreté ?
Pour surmonter ces handicaps, la RDC doit sans tarder établir et consolider un État de droit. Elle doit s’affranchir de la triade infernale : prédation, corruption et médiocrité (PCM). Ces trois vices révèlent la défaillance du cadre institutionnel et l’émergence de son corollaire : les coûts transactionnels. L’amplitude de ces derniers incite les acteurs économiques à privilégier les activités de spéculation et de prédation aux activités formelles, qui tirent le développement. Par hystérésis, ils tirent leur origine du mobutisme et se dresseront en véritables obstacles à la fois aux effets positifs générés par les investissements ainsi qu’à toute redistribution plus équitable des gains de croissance. Ces trois vices ont un lien commun : la régénérescence de la pauvreté extrême en RDC. Aussitôt annihilés et fort d’une vision prospective des enjeux présents et futurs, la RDC pourra transformer le point d’achèvement en point de départ pour une éradication progressive mais certaine de la pauvreté.
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