(Le Figaro 05/11/2010)
L'annonce des résultats définitifs des élections en Côte d'Ivoire n'aura finalement pas fait grand bruit. Mercredi soir, sous les néons criards d'un petit bar d'une banlieue d'Abidjan, aucun cri n'a accueilli la victoire de Laurent Gbagbo avec 38,3 % des voix et l'accession au second tour d'Alassane Ouattara avec 32,08 %. Les clients assis au Poulet Show ne sont pourtant pas des supporteurs d'Henri Konan Bédié, arrivé troisième avec 25,24 % et grand perdant de la confrontation. Ici, on soutient Gbagbo, mais on se dit «déçu». «Nous, on voulait une victoire par KO au premier tour», lâche Thierry.
Au petit matin, à Adjamé, un fief d'Alassane Ouattara, les militants ne sont guère plus joyeux. «Le score d'Alassane, il est petit. Nous avons pourtant bien voté», remâche Issa. La frustration est vite effacée et laisse place à un concert de louanges sur le «calme» qui a régné pendant le scrutin et «la maturité» des Ivoiriens. Les observateurs internationaux et les diplomates, visiblement soulagés s'y joignaient volontiers. La bonne tenue du scrutin était, il est vrai, loin d'être acquise. Et elle ne l'est en fait toujours pas. «Nous sommes à la moitié du chemin», résume un diplomate. Le second tour qui s'ouvre sera au moins aussi périlleux que ne fut le premier.
Le duel entre le Sudiste Laurent Gbagbo et le Nordiste musulman Alassane Ouattara est un condensé de la fracture qui mine la Côte d'Ivoire depuis vingt ans. Une mise à plat brutale des divisions qui, après la tentative de coup d'État de 2002 contre Laurent Gbagbo, ont conduit le pays à la guerre civile.
Combat musclé
Un regard sur la carte électorale suffit pour constater que le vote ethnique existe toujours dans le pays. Ainsi, le Baoulé Henri Konan Bédié tient le centre du pays, tandis que le Dioula Alassane Ouattara est maître dans le Nord. Le Bété Laurent Gbagbo a été plébiscité dans l'Ouest et le Sud. Cette logique s'arrête aux portes d'Abidjan. La capitale économique, qui pèse pour un tiers des électeurs, a été gagnée par Laurent Gbagbo, qui a su ratisser bien au-delà de son électorat tribal. Dans les meetings à venir, les discours des prétendants risquent donc d'être moins courtois que lors des semaines passées.
D'autant que ce combat sera celui de deux hommes qui ne s'estiment guère et que tout oppose. L'inimitié qui sépare un versatile Laurent Gbagbo, porté vers le populisme, à l'austère ancien haut fonctionnaire du FMI Alassane Ouattara est ancienne. Elle s'est forgée au début des années 1990 dans l'atmosphère de fin de règne des dernières années de Félix Houphouët-Boigny. Le président sortant n'a pas pardonné la tentative le putsch de 2002 qu'il attribue aux menées de son rival. De son côté, Alassane Ouattara garde une vive rancœur de son éviction, pour cause de «nationalité douteuse», de la présidentielle de 2000, gagnée par Gbagbo.
Or la campagne pourrait bien ranimer cette dangereuse polémique autour des origines des uns et des autres. L'«ivoirité» est un concept ultranationaliste selon lequel les populations chrétiennes du Sud seraient plus ivoiriennes que celles du Nord, à majorité musulman. Dans ce pays de forte émigration, l'argument est porteur. Et, dans le camp de Laurent Gbagbo, la tentation de l'utiliser sans doute grande.
Mais le jeu est risqué. Les Ivoiriens, appauvris, ne manquent jamais une occasion de souligner leur fatigue face à ces vieilles querelles. Laurent Gbagbo, désormais en position de favori, va réfléchir au meilleur moyen de séduire une partie des partisans de Bédié, réduit au rôle de faiseur de roi. En théorie, il existe un accord de désistement mutuel qui lie depuis 2005 Alassane Ouattara à Henri Konan Bédié. Mais la bonne volonté intéressée d'alors tiendra-t-elle face aux réalités ? Rien n'est moins sûr. «Les électeurs de Bédié sont naturellement portés vers Gbagbo, un Sudiste comme eux. Dans le même temps, Ouattara a su créer une dynamique. Il est difficile de deviner l'issue du duel qui sera tendu », conclut un politicien ivoirien.
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