(Afriscoop 05/11/2010)
Le peuple frère et ami de la Côte d’Ivoire vient de passer avec maestria et sérénité, la première phase de son examen démocratique après 11 (mais en réalité 17) année de crises politiques, économiques et sociales de grande ampleur.
Le pays d’Houphouët-Boigny, l’Eléphant d’Afrique, autrefois cité comme havre de paix, de concorde, mosaïque multiethnique et multiculturelle de l’Afrique occidentale, a versé le prix de la haine, du sang et des larmes. Le voilà aujourd’hui lancé vers sa réhabilitation politique, gage d’une renaissance économique prochaine pour un pays plein de potentialités et de ressources humaines de qualité. Renaissance économique qui devra servir à reconstruire une nouvelle société qui partagera mieux, protègera plus et considèrera chacun selon son mérite et dans la dignité. Les africains que nous sommes sortirions grandis d’un second tour pacifique et incontesté qui déboucherait sur l’élection d’un président accepté de tous. Une telle issue à la crise ivoirienne nous grandirait disais-je aux yeux de ceux là qui de loin tentent de gouverner l’Afrique et qui lorsqu’ils échouent, se bornent à décrire l’homme africain comme dépourvu d’histoire, de valeurs humanistes, de capacités de progrès sans assistance et d’inculture démocratique définitive.
Les Béninois que nous sommes, avons eu l’immense opportunité d’accomplir notre transition socio- politique sans violences, sans morts, sans balkanisation de notre territoire ni stigmatisation d’un groupe ethnique par rapport aux autres. Nous avons eu la chance de connaître dès 1991 des élections démocratiques et libres. A l’aube de la 5ème élection présidentielle de l’ère du Renouveau Démocratique, notre pays connait des tensions politiques d’une rare acuité. Il est soumis à des soubresauts sociaux qui ont manqué d’atteindre le stade de la friction à la bourse du travail il y a quelques semaine et nos populations sont encore soumises aux contrecoups économiques de la scabreuse affaire ICC Services et consorts. Des éléments qui, mis bout à bout, font craindre un supplément de pesanteurs sur le scrutin de Mars 2011. Comme si cela n’était pas suffisant, la classe politique s’écharpe autour de la Liste Electorale Permanente Informatisée et de son utilisation ou non pour les échéances à venir. Cette LEPI devenue la liste de tous les dangers, sensée être l’outil majeur de sécurisation du processus électoral, est en passe de devenir le point d’achoppement.
Aussi, il m’a plu de m’intéresser de près à l’élection présidentielle ivoirienne et de la comparer avec d’autres élections réussies en Afrique (Ghana, Tanzanie notamment), pour en tirer 5 leçons qui peuvent servir au Bénin. J’entends déjà les esprits forts nous dire que comparaison n’est pas raison, que la Côte d’Ivoire n’est pas le Bénin et que les réalités ne sont pas les mêmes. Je leur répondrai que nous parlons ici de forme et non de fond, que l’expérience des autres peut être un bon maître d’école et surtout que les périls qui menacent nos nations cinquantenaires sont généralement les mêmes.
1-La Liste Electorale
Remarquons que la liste électorale utilisée en Côte d’Ivoire a été mise en place près de 3 ans avant l’Election du 1er Octobre. Qu’elle a été réalisée en trois grandes phases et avec une multitude de croisements entre différents fichiers d’état-civil, de police, des services fiscaux et judiciaires. Remarquons surtout que tous les acteurs ont été réunis autour de la table et que jusqu’au bout, chacun a pu faire prévaloir ses réserves et obtenir les assurances nécessaires. Si la liste finale a été validée à deux mois du scrutin, elle n’a connu en définitive que des réajustements mineurs (0.5%) par rapport à sa version de 2008. Je vous laisse faire la comparaison avec notre LEPI qui n’en est péniblement qu’à sa seconde phase et qui est déjà rejetée par l’opposition parlementaire au motif qu’elle serait bâclée. Ceci à 5 mois de nos élections.
2-La Commission Electorale Indépendante
La encore, la Côte d’Ivoire l’a installée il y a plus de deux ans. Et malgré ce laps de temps relativement important mais en phase avec les enjeux, elle a connu moult agitations et son président initial a du se désister. Le Bénin dans ce domaine aurait pu s’offrir 9 mois pour installer et rendre opérationnelle la CENA. Mieux, nous aurions pu nous intéresser aux exemples ghanéens, sénégalais ou maliens qui ont donné à cette institution un rôle permanent et parfois constitutionnel. Avec les bisbilles entre la Cour Constitutionnelle et le Parlement au sujet des lois électorales, le délai de 6 mois pour l’installation de la CENA ne sera pas tenu. Nous ne savons même pas avec quelle loi nous irons aux élections.
3-Les candidatures
Vous remarquerez que pour un territoire 3.5 fois plus grand, un contexte de sortie de crise et une caution de 5 millions, la Côte d’Ivoire s’est pourtant contentée de 14 candidats. Vous noterez également que chaque candidat était tenu de préciser s’il concourrait sous la bannière d’un parti ou alliance politique ou en tant qu’indépendant. Ajoutons à cela l’absence de restrictions particulières pour être candidat, pas même un critère de résidence particulier. Constatons également la prise en charge d’une partie de l’affichage public par la Commission Electorale afin de faire connaître tous les candidats dans tout le pays. Ajoutons enfin, l’obligation faite aux chaînes publiques, d’organiser un débat avec chacun des candidats à une heure de grand écoute, en additif des traditionnels spots et messages de campagne afin qu’ils présentent leur parcours et leurs projets.
4-La communication
Tant la CEI dans son rôle d’informateur et d’éducateur sur la paix, la sécurité mais également la procédure de vote, que les médias ont innové et ravi.Les clips de sensibilisation de la société civile, des stars appréciées par la population,ont permis de toucher un public élargi et de rasséréner le lien social. Les candidats eux-mêmes ont passionné par leurs capacités de mobilisation, leurs stratégies d’animation innovantes, le déploiement de leurs offres politiques. C’est ainsi qu’on a pu s’amuser du slogan provocateur autant qu’évocateur d’un candidat, s’intéresser au chiffrage du programme d’untel, admirer la grande parade urbaine des derniers jours ou la campagne de proximité silencieuse mais semble t-il efficace de tel autre. Ce sont des choses plus qu’intéressantes qui montrent que les politiciens et les médias doivent s’adapter aux mutations de nos sociétés notamment à la jeunesse. Voilà une pierre dans le jardin de nos politiciens et de nos médias qui pensent souvent que la pré- campagne et la campagne électorale se limitent à des invectives, des couvertures de meeting et à la retranscription de déclarations de soutiens et autres faits divers loufoques.
5-La place de la Jeunesse
En Côte d’Ivoire également, la jeunesse tutoie les 65% de la population. Elle a soif de liberté, de savoir, d’évolution. Elle a des désirs ardents et rêve de modernité. Elle est surtout un électeur qu’on ne traite pas comme un autre. Comme au Bénin, 90% des internautes sont des jeunes, 70% des utilisateurs de mobiles également. On a vu des candidats septuagénaires, non plus se contenter de s’habiller comme des jeunes ou de les haranguer hautement. Ils ont du parler, danser, penser comme des jeunes pour pouvoir toucher le cœur de cette cible. Ils ont du abandonner les schémas classiques et créer des Directions Nationales de Campagnes pour la Jeunesse. Ils ont du toiletter leurs propositions et adapter les priorités à celles de la Jeunesse : santé, emploi, éducation. Autant dire que la jeunesse ivoirienne a su peser dans le scrutin à plusieurs niveaux. Médiatiquement, en se faisant inviter à tous les débats d’importance. Socialement en étant le pivot incontournable de la campagne électorale et non une pièce de bétail. Enfin numériquement en sortant massivement voter et en réalisant un vote transethnique basé sur ses préoccupations tandis que ses aînés se confortaient dans le repli identitaire classique. En cela, elle a sans doute modifié le cours du scrutin en éliminant le candidat le plus âgé (pourtant représentant du parti le mieux implanté) et en se donnant le choix entre le candidat « de la solution » et celui de « l’indépendance ».
Indépendance et Solutions pour son Avenir : n’est ce pas ce que recherche aussi la Jeunesse Béninoise ?
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