(Le Potentiel 24/07/2010)
Elle comptait créer 26 provinces avant la fin, en 2011, de la législature. Pour des raisons plutôt techniques que politiques, la RDC est obligée de différer l’éclatement des 11 actuelles. Conséquence : les Exécutifs provinciaux renoncent à retenir à la source les 40% des recettes à caractère national à eux reconnues par la Constitution. C’est que, après des coups de gueule échangés, souvent avec passion, dans divers cercles politiques, l’opinion se rend à l’évidence. Il y a urgence de geler des dispositions de la Loi fondamentale relatives à ces matières. Pragmatisme politique oblige.
Le pragmatisme a, enfin, prévalu. Pourvu qu’il survive jusqu’au début de la prochaine législature. Car, en effet, au sortir de l’audience que leur a accordée Adolphe Muzito, le premier ministre de la République, les gouverneurs de province n’ont vraiment pas surpris le public en date du 21 juillet 2010.
Julien Paluku, le porte-parole et gouverneur du Nord-Kivu, s’est voulu incisif. L’unanimité, a-t-il déclaré, s’est dégagée entre Kinshasa et les gouvernements provinciaux autour du « gel de la mise en œuvre de la décentralisation », d’une part, et « du devoir de solidarité entre les provinces », d’autre part. Un décryptage est nécessaire.
Mise en garde des bailleurs.
Le laborieux consensus ainsi dégagé signifie que le gouvernement central ne s’est pas donné les moyens d’appliquer les articles 2 et 175 alinéa 2 de la Constitution du 18 février 2006. Par ailleurs, le constituant, emporté par l’euphorie de l’époque, n’avait pas suffisamment de recul pour entrevoir les difficultés qui s’érigeraient sur la route de la mise en exécution de la volonté politique ainsi exprimée. Pire, les bailleurs de fonds et créanciers de la République ont joué leur partition. Ils se sont appliqués à dissuader Kinshasa de se lancer dans l’aventure du découpage territorial, sans argent propre, ou d’autoriser la retenue des 40% en provinces alors que le Service de la dette publique (FMI, BM, UE, BAD,…) devait bénéficier de la priorité des décaissements du Trésor public congolais.
Retenue à la source.
Sans conteste, l’article 175 est explicite. « La part des recettes à caractère national allouées aux provinces est établie à 40%. Elle est retenue à la source ». Mais, dans la pratique, après quatre ans d’exercice du pouvoir, Kinshasa et les provinces se sont rendus compte de l’inapplicabilité de la disposition. Explication : toutes les provinces actuelles n’ont pas la même capacité de mobilisation de ressources financières. Si jamais le gouvernement central accordait ce « privilège » notamment au Bas-Congo, Katanga et Kinshasa, il condamnerait le reste du pays à une mort rapide. Ce serait un acte irresponsable de sa part, car il a le devoir de gérer avec équité l’ensemble des provinces. D’où le gel de cet article, dès l’entrée en fonction des institutions issues des élections libres et transparentes. Manquant néanmoins de stratégie de communication, le gouvernement ne s’est toujours pas clairement expliqué envers les provinces et les élus provinciaux. C’est ainsi que, par erreur tactique, il a dû promettre à la Conférence des gouverneurs de province tenue à Kisangani (24-25 juin 2009) l’institution d’un « Ordre de paiement permanent » auprès des succursales de la Banque centrale pour les dotations au profit des provinces. Une promesse jamais tenue.
Découpage territorial.
Les lois et textes devant accompagner la décentralisation ont pris du temps pour leur élaboration au niveau du parlement. Alors que la Constitution prévoit la création de 26 provinces au plus tard le 15 mai 2010, sur le terrain, c’est le silence radio. Ni le parlement ni le gouvernement ne sont sortis de leur torpeur. Seuls quelques élus d’une partie du Katanga et leurs collègues d’un district de la province Orientale ont, pour des raisons d’intérêt cotérique, sonné l’alarme pour revendiquer « leur province ». En réaction, le gouvernement central s’est fourvoyé et les acteurs politiques, toutes tendances confondues, ont affiché le profil bas à la date butoir. Explication : le rêve de 26 provinces s’est évanoui depuis que de nombreux élus, parmi les chauds partisans du découpage, ont découvert que les fonds manquent cruellement pour faire fonctionner les 11 provinces actuelles, d’autant moins que leurs propres émoluments tombent à compte-gouttes, après trois ou quatre mois de retard. Dans ces conditions, ont-ils pensé, « comment ferions-nous pour tourner la machine des 26 provinces qui manqueront d’infrastructures (bureaux, logements, logistique) ? » Comment des provinces non viables prendront-elles en charge les matières constitutionnelles qui relèvent « de leur compétence concurrente avec le pouvoir central » (article 203) ou sont « de leur compétence exclusive » (article 204) ? A chaque question, la réponse est sans équivoque.
Réalisme politique.
Après des discours politiciens tenus sur la décentralisation, de 2006 à ce jour, l’heure est au réalisme. La Majorité et l’Opposition ne s’offusquent pas à avaler leurs vomissures. En vertu de ce pragmatisme qui a tant manqué au constituant de 2006, les Exécutifs tant national que provinciaux sont convaincus d’une réalité : il est prématuré de créer de nouvelles provinces. Il est aussi préjudiciable de retenir les 40% à la source dans chaque province. Ceci étant, le nouveau discours, en vogue désormais, est que les provinces ont « un devoir de solidarité entre elles ». Et ce, en attendant que, dans deux ou trois ans, l’effacement de la colossale dette publique induise des effets bénéfiques sur le budget de la nation. Et que, de leur côté, les Exécutifs provinciaux, soutenus par Kinshasa, imaginent des mécanismes locaux de viabilisation de leurs entités ainsi que d’incitation à l’investissement, à la création des entreprises, à la création des richesses au bénéfice des citoyens et du trésor public.
A tout prendre, au vu de l’évolution de mentalité dans le chef du gouvernement central et des gouverneurs de province sur les deux sujets sensibles, on ne peut que saluer le triomphe du réalisme politique sur des considérations abstraites, partisanes. Le président Kabila devra onfirmer cette vision aux chefs des Exécutifs provinciaux au cours de la rencontre de ce samedi.
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