(Rue 89 26/07/2010)
Cela fait maintenant dix jours que notre blogueur Théophile Kouamouo et deux de ses collaborateurs sont incarcérés à la MACA, sinistre prison d'Abidjan. Ce lundi, le tribunal correctionnel de la ville va juger les trois hommes.
Ils risquent un an de prison ferme, peine réclamée par le parquet. Mais aussi une amende de dix millions de francs CFA (15 000 euros) et la suspension de leur journal, Le Nouveau courrier. Qu'ont-ils fait ?
Pour le ministère public ivoirien, ils sont coupables de :
•« vol de document administratif »,
•« diffusion d'information sur un dossier judiciaire non encore évoqué à l'audience publique »,
•« révélation d'un document couvert par le secret ».
Le procureur de la République d'Abidjan, Raymond Tchimou, leur reproche la publication d'informations issues d'un rapport de 137 pages que la presse ivoirienne a baptisé « Le Livre noir de la filière cacao-café ».
Raymond Tchimou veut absolument savoir qui a vendu la mèche aux journalistes du Nouveau courrier, sachant que ce rapport, remis fin juin au Président Laurent Gbagbo, circule depuis plusieurs semaines entre magistrats et responsables politiques. Bref, un secret de polichinelle dans les cercles du pouvoir ivoirien.
Théophile s'est réfugié derrière l'indispensable secret des sources pour taire le nom de ses informateurs.
Les journalistes sont traités comme des voleurs
Seulement voilà, au lieu d'appliquer les lois sur la presse, le procureur a choisi de traiter nos confrères comme des voleurs. Ou plutôt, de vilains receleurs. Car depuis 2004, la Côte-d'Ivoire avait courageusement rénové ses lois sur la presse. Comme le rappelle Reporters sans frontières, les peines d'emprisonnement sont exclues pour les délits de presse depuis 2004 :
« La publication de documents, même confidentiels, fait partie du travail de base d'un journaliste et le secret des sources est un des principes fondamentaux du métier. Sans ces deux conditions, le journalisme d'investigation ne peut pas exister.
Les journalistes mis en cause dans cette affaire ont fait leur travail de manière professionnelle, afin d'informer les Ivoiriens sur une affaire d'intérêt public. »
Imagine-t-on un Fabrice Lhomme poursuivi pour avoir révélé les turpitudes des Bettencourt et de la classe politique française ? Un Guillaume Dasquié placé en détention après son audition par les agents de la DCRI ? Ou encore un Augustin Scalbert traîné à la prison de la Santé pour avoir dévoilé la vidéo off de Sarkozy ?
Pour bien comprendre l'enjeu, il faut savoir que la filière cacao-café est au cœur du fonctionnement du pouvoir ivoirien. Révéler ses excès, les dérives de ses hommes forts et les véritables liens qui les unissent à la classe politique, c'est faire œuvre d'information dans une société où les passe-droits et les privilèges minent la confiance collective dans les institutions.
Un journaliste lucide et entreprenant
Théophile Kouamouo, 35 ans, est un journaliste professionnel courageux et entreprenant. Originaire du Cameroun, diplômé de l'ESJ de Lille en 1999, il a commencé à travailler dans un pays en crise, à la fois pour la presse française et la presse ivoirienne.
En 2003, il a interrompu sa collaboration avec Le Monde sur un désaccord éditorial. Puis, il a enchaîné les projets, avec quelques échecs et de jolis succès comme il le racontait récemment à Philippe Couve.
Il pose un regard à la fois lucide et engagé sur son métier, notamment parce qu'il s'interroge sur la question primordiale du modèle économique que la presse africaine cherche, comme un peu partout d'ailleurs.
En choisissant de le condamner, lui et ses deux compères (Stéphane Guédé et Saint Claver Oula, directeur de publication et rédacteur en chef du Nouveau courrier), la justice ivoirienne renierait sa propre législation. Mais surtout, elle donnerait un signal de régression sans précédent pour les libertés publiques. En Afrique et ailleurs.
Par David Servenay
Rue89
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