(Courrier International 01/07/2010)
Après les mauvaises récoltes de 2009, le pays est frappé par une nouvelle crise alimentaire. Chris Stewart, fondateur du groupe Genesis et grand voyageur, lance un cri d’alarme.
Le Niger fait face à une famine causée par la sécheresse.
Nous quittons la ville de Téra et commençons à traverser une savane poussiéreuse dont la monotonie est parfois rompue par les huttes traditionnelles des villages. Le sable, la poussière blanche balayée par le vent et une végétation en quelque sorte momifiée par la sécheresse composent le paysage que nous traversons.
Cette province située à environ quatre heures au nord-ouest de Niamey, la capitale du Niger, est l’une des régions les plus démunies de ce pays déjà très pauvre. En 2009, la saison des pluies n’a pas été suffisante. A Tillabéri, la pluie n’est pas venue du tout. Les gens d’ici n’ont rien à manger.
Si l’aide humanitaire n’arrive pas, les gens finiront par mourir de faim et de soif. Ce n’est pas la première fois que cela se produit à Tillabéri. La famine de 1984 a été particulièrement destructrice. Si celle de 2005 a été moins meurtrière, elle n’en a pas moins durement éprouvé les populations. Cinq ans plus tard, un scénario identique est sur le point de se répéter. Le long de la route, la maigreur des vaches les rend effrayantes. Il y a des chèvres aussi. Elles ont depuis longtemps abandonné tout espoir d’obtenir quoi que ce soit de cette terre craquelée. Solitaires, par deux ou en groupe, les plus vaillantes errent sans aucun but pendant que les autres restent debout, immobiles, comme paralysées par la faim.
Si vous pensez que c’est l’endroit le plus misérable au monde, vous vous trompez. Plus loin, le paysage change pour devenir encore plus stérile. La végétation est encore plus rare et le bétail plus maigre. A Bankilaré, nous allons nous présenter au gouverneur de la province. C’est un homme en tenue militaire et aux manières affables qui nous reçoit dans un bureau où la chaleur est étouffante. Les fenêtres ouvertes ne laissent passer qu’une poussière brûlante. Il consulte nos papiers, puis nous remercie poliment pour l’aide humanitaire apportée à son peuple.
Le Niger est méconnu. Ce pays enclavé au cœur de l’Afrique de l’Ouest est un pays aride, majoritairement musulman, dont 80 % se trouve dans le Sahara. C’est l’un des pays les plus pauvres de la planète et les statistiques en matière d’espérance de vie, d’éducation et de niveau de vie sont terribles. La famine de 2005, causée par la sécheresse et les invasions de criquets, a été aggravée par le président Mamadou Tandja, qui refusait d’admettre sa réalité et accusait les ONG et l’opposition de “propagande”. En février 2010, il a été renversé par le major Salou Djibo lors d’un coup d’Etat presque pacifique, et les militaires ont promis de restaurer la démocratie. Même si la vie politique est plus stable, la situation reste préoccupante. Le Niger abrite l’une des bases d’Al-Qaida. Plusieurs touristes et diplomates occidentaux ont été enlevés dans le pays et cette année des attentats suicides ont tué 5 soldats nigériens.
Nous continuons vers le nord. Parfois une carcasse de vache gît sur le bord de la route. Il émane de l’endroit une beauté torturée et apocalyptique. Plus loin, nous finissons par sortir du néant pour atteindre un paysage étonnant : les puits de Timbouloulag. De petits monticules se dressent entre les arbres. Au centre est percé un trou d’environ 50 centimètres de diamètre. L’eau se trouve à 15 mètres de profondeur. Mais il n’y a ni treuil ni poulie, juste un seau au bout d’une longue corde. “Quand les pluies arrivent, que tous ces arbres se mettent à bourgeonner puis à fleurir, et que la terre offre de verts pâturages à nos bêtes, alors il n’y a pas d’endroit plus beau au mode”, dit Akeli, l’un des hommes. “Jamais je ne quitterai cet endroit. Même pour Paris…” A quelques mètres, des femmes sont assises avec leur bébé à l’ombre des arbres. Elles ont chacune un bol de fer-blanc rempli de feuilles. “Nous allons les manger, explique l’une d’elles. Nous les faisons bouillir puis nous les pilons avec un peu de sel. Ensuite nous les mélangeons aux enveloppes du mil : c’est tout ce qu’il nous reste ! Normalement nous mangeons du mil, mais la récolte a été très mauvaise l’année dernière. Nous n’en avons pas récolté assez et il n’en reste plus. Les enveloppes des graines ne suffisent pas à calmer la faim, mais avec les feuilles bouillies c’est plus supportable.” Le mil est l’aliment de base dans la région. Ici, la viande est rare. La dernière fois que ces femmes en ont mangé, c’était pour la fête de l’Aïd, il y a six mois.
Chris Stewart
© Copyright Courrier International
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire