vendredi 23 juillet 2010

Mali - Un bilan controversé des privatisations

(IPS 23/07/2010)
BAMAKO - Des leaders de l’opposition et plusieurs organisations de la société civile dénoncent la politique industrielle du Mali, notamment la privatisation des entreprises publiques, dont les conséquences sociales sont souvent lourdes.
Cette levée de boucliers arrive dans un contexte de crise où des travailleurs d’une entreprise publique privatisée assiègent la Bourse du travail de Bamako, la capitale malienne, pour réclamer un plan social pour le paiement de leurs arriérés de salaires. Le bâtiment est occupé partout et en permanence depuis novembre 2009 par 264 des nombreux travailleurs compressés en 2007 de l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA), une entreprise spécialisée dans la production d’huile et d’aliments bétail.
Selon Sibiri Diarra, un de ces travailleurs de l’HUICOMA, «Un plan social n’existe pas encore, il fait toujours l’objet de négociations à l’issue desquelles des indemnités seront payées aux compressés et aux employés qui souhaitent désormais partir volontairement à la retraite».
S’agissant des arriérés, il ne reste plus que deux mois de salaires en retard, l’Etat ayant payé les mois précédents (de 2007 à avril 2010). Rien n’avait été payé au moment de la privatisation en 2005 car aucun travailleur n’avait été licencié et les salaires étaient réguliers jusqu’en 2007.
«Nous vivons ici (à la Bourse du travail) depuis huit mois et quelques jours. Les gens sont dans des conditions difficiles, même l’alimentation est un problème. Mais c’est pour nos droits que nous acceptons de souffrir ainsi», a déclaré à IPS, Bakary Berthé, le président du collectif des travailleurs de l’HUICOMA.
Les problèmes ont commencé en 2005 quand l’entreprise publique (créée en 1979), a été privatisée sans un plan social. Ainsi, le repreneur malien, le groupe Tomota, a licencié plus de 400 travailleurs en juin 2007 à cause des difficultés d’approvisionnement en graines de coton, la matière première de l’entreprise.
«Selon le contrat de cession, le repreneur devrait faire un plan social dans les 60 jours qui ont suivi la privatisation, sous peine d’être sanctionné de 10 pour cent de la masse salariale», a déclaré à IPS, Moussa Doumbia, un des travailleurs concernés. Ce délai étant dépassé depuis longtemps, L’Etat malien a failli à son devoir de protéger les travailleurs, estime Diarra.
«Les entreprises publiques qui ont été privatisées ont toutes échoué. La question se pose maintenant de savoir ce qu’il faut faire pour les sauver», a indiqué à IPS, Moussa Koné, membre de l’Union pour la protection des droits des démunis, une organisation non gouvernementale (ONG) locale.
Mais, c’est davantage le coût humain de ces privatisations qui fait l’objet de critiques de la part de ces organisations de la société civile. Par exemple, la Coalition des alternatives dettes et développement (CAD-Mali), une ONG locale, a organisé des manifestations populaires à Bamako à la fin juin pour dénoncer la politique libérale du gouvernement malien.
Bien que ces privatisations n’aient pas encore fait l’objet d’une évaluation formelle, les problèmes sociaux auxquels elles ont conduit sont considérables. «Le bilan social est lourd comme dans toutes autres procédures d’ajustement structurel. Mais il faut reconnaître que les repreneurs doivent souvent sacrifier une partie du personnel pour que l’entreprise puisse souffler», a expliqué à IPS, Issa Sacko, professeur d’économie à l’Université de Bamako.
Récemment, le combat pour le droit des travailleurs de l’HUICOMA et l’arrêt des privatisations s’est transporté sur le champ politique. Un député de l’opposition, Oumar Mariko, interpellant le ministre de l’Economie et des Industries, déclarait le 2 juillet: «L’Etat n’est pas en train de construire une économie nationale en privatisant les entreprises publiques au profit des unités industrielles d’ailleurs. La solution qui vaille est de retirer l’HUICOMA au groupe Tomota et de re-nationaliser les entreprises privatisées».
Pour le gouvernement, l’échec dont parlent l’opposition et les organisations de la société civile reste à prouver. «Ce n’est pas exact de dire que notre politique ne construit pas une industrie nationale. Nous voulons ouvrir nos entreprises aux capitaux étrangers afin de faire du secteur privé le moteur de la croissance économique», a affirmé Amadou Abdoulaye Diallo, le ministre malien de l’Economie et des Industries.
«Par ailleurs, la politique des privatisations, c’est un choix politique du pays. Nous sommes dans un Etat de droit; une loi a été votée par les députés pour adopter cette politique. Donc, nous ne pouvons pas re-nationaliser les entreprises privatisées. C’est à l’assemblée de changer la loi», a-t-il ajouté.
Cependant, d’autres analystes nuancent le bilan des entreprises publiques qui ont été privatisées au Mali. «Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau de bain. Même si beaucoup d’entreprises ont échoué après leur privatisation, il y a des cas de réussites : par exemple, la Banque internationale pour le Mali (BIM), ou encore la Société de téléphonie du Mali (SOTELMA)», a ajouté Sacko.
Au total, une vingtaine d’entreprises publiques ont été privatisées au Mali, et un géant de l’économie nationale, la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT), est aussi en passe de l’être. Cette politique datant du début des années 1990 n’a pas été un choix facile, selon des analystes.
«Les responsables politiques, qui ont décidé de privatiser les entreprises publiques, étaient obligés de compter avec la mondialisation de la politique de déréglementation des réseaux économiques. Nous avons vu la vague des privatisations venir des Etats-Unis en passant par l’Europe; elle était présentée comme une panacée», a indiqué à IPS, Moumine Traoré, secrétaire principal de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université de Bamako. (FIN/2010)

Soumaila T. Diarra
22 juil (IPS) © Copyright IPS

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