(L'Inter 26/07/2010)
La nouvelle est tombée vendredi 23 juillet dernier : Guillaume Soro a cédé son fauteuil de secrétaire général au ministre de la Justice, Koné Mamadou. Ce magistrat, qui siège au gouvernement pour le compte des Forces nouvelles, assume désormais l’intérim. Une nouvelle d’autant plus intrigante qu’elle est inattendue. En tout cas, peu d’observateurs l’ont vue venir. Aussi suscite-t-elle les conjectures les plus folles. Au-delà des justifications laconiques données par le communiqué annonçant la nouvelle, que cache ce départ de Soro de la tête de l’ex-rébellion ? A-t-il été poussé à la porte par une pression occulte ? Pourquoi maintenant ? Autant d’interrogations qui brûlent les lèvres. Deux raisons essentielles nous semblent expliquer le départ du « capitaine » Soro du navire encore en pleine mer.
LA PRESSION DU DESARMEMENT
Première piste : Guillaume Soro s’efface pour fuir le casse-tête du désarmement à l’approche de la présidentielle. En effet, la question du désarmement avant le scrutin présidentiel va sûrement ressurgir d’ici peu, si tant est que la présidentielle se tiendra cette année, c’est-à-dire dans moins de cinq mois, comme s’accordent à le dire les acteurs politiques. On se souvient que, se fondant sur l’accord complémentaire de Ouaga 4, les partisans de Laurent Gbagbo avaient mis la pression, il y a quelques mois, sur le Premier ministre, afin qu’il engage le désarmement de ses hommes. A l’époque, la présidentielle était envisagée pour fin mars-début avril 2010. A l’approche de cette échéance, l’on a assisté à une levée de boucliers dans le camp présidentiel pour réclamer le désarmement des soldats de Soro dans les brefs délais. Le président du Front populaire ivoirien, Pascal Affi N’guessan, avait même lancé un ultimatum de deux mois à Guillaume Soro pour tout boucler. Une situation qui a eu pour effet de jeter un froid dans les relations entre le chef de l’Etat et le Premier ministre. Au point que les deux hommes avaient dû se rencontrer au palais présidentiel au Plateau le 11 avril, puis sur la lagune dans la même soirée, pour aplanir leurs divergences. Depuis, la tension semblait être retombée. Mais voilà que la présidentielle pointe à nouveau le nez. A moins de cinq mois de la fin de cet hypothétique scrutin, Guillaume Soro sait que la question du désarmement va refaire surface. Or, selon des sources introduites au sein des Forces nouvelles, il se heurte toujours au refus des durs de l’ex-rébellion de déposer les armes. Certains chefs de guerre, qu’on dit pro-Alassane Ouattara, ne voudraient point entendre raison, en dépit des plaidoyers de leur patron. D’où ces conclaves successifs à Bouaké qui ont accouché d’une souris s’agissant de l’équation du désarmement. C’est donc de guerre lasse que Guillaume Soro a choisi de jeter l’éponge pour ne pas être comptable de ce qui pourrait advenir les semaines ou mois à venir. En effet, dans le camp présidentiel, l’on n’écarte pas le recours à la force pour obtenir le dépôt des armes, comme en témoigne la récente interview de Jean-Noël Abehi, commandant du Groupe d’escadron blindé de l’armée régulière, parue dans notre édition du 22 juin 2010. D’ailleurs, au plus fort de la fronde des partisans de Gbagbo pour réclamer le désarmement, ceux-ci avaient demandé à Soro de s’éclipser pour faire place à un autre interlocuteur à même de faire plier l’échine aux récalcitrants. C’est ce qu’il vient de faire.
DES AMBITIONS POLITIQUES
Il concède du même coup au chef de l’Etat et au camp présidentiel une revendication récurrente et pressante : ôter la casquette de parton des Forces nouvelles pour se vouer pleinement à sa fonction de Premier ministre. Et ce n’est certainement pas un hasard s’il choisit le ministre de la Justice, Mamadou Koné, ancien directeur de cabinet d’Henriette Diabaté du temps où celle-ci était Garde des sceaux. Donc un transfuge du Rdr. Il aura pour mission de raisonner des chefs de guerre résistants au désarmement, qu’on dit pro-Ouattara. L’autre raison du départ de Soro de la tête de l’ex-rébellion, c’est sa secrète intention de préparer son avenir politique post-rébellion. En prenant du recul, Guillaume Soro veut se donner une virginité pour se repositionner sur l’échiquier politique plus tard, après les élections. Des sources proches de l’ex-rébellion confient qu’il envisage de rebondir sur la scène politique après les élections, avec une nouvelle mouture des Forces nouvelles, celle-là aux contours d’un parti politique. Les textes seraient fin prêts et les hommes déjà cooptés. Guillaume Soro ambitionne de sortir des élections avec l’image d’un homme d’Etat débarrassé des scories de la rébellion. Aussi prend-il ses distances vis-à-vis de ses désormais ex-compagnons des Forces nouvelles.
Soro livre ses hommes
Il justifiait, ainsi que ses hommes, sa présence à la Primature, par le fait qu’il est le secrétaire général des Forces nouvelles, l’ex-mouvement rebelle qui a attaqué le régime de Laurent Gbagbo. En cédant son fauteuil de SG à une autre personnalité, même si l’on parle encore d’intérim, Guillaume Soro semble laisser un vide. Vide qui jette un doute dans l’esprit des éléments des Forces nouvelles, quelles que soient les assurances qu’on a pu leur donner avant la prise de cette décision. Soro lâche-t-il la rébellion en plein parcours ? Est-il en disgrâce ou connaît-il des difficultés avec ses soldats au point de livrer son fauteuil ? Quelle attitude vont adopter désormais les ex-rebelles face aux chapitres restants du processus de sortie de crise ? Autant d’interrogations que les éléments des Forces nouvelles devraient se poser depuis la publication de la décision de leur patron. Le communiqué qui annonce la nomination d’un intérimaire au poste de secrétaire général des Fn, précise par ailleurs que ce dernier sera en place jusqu’à la tenue des élections. En clair, les étapes qui restent à franchir avant le scrutin présidentiel, notamment le désarmement, la réunification du territoire, seront gérées par le remplaçant de Guillaume Soro. Quelle sera l’attitude des soldats vis-à-vis du ministre Mamadou Koné ? L’avenir nous situera. On sait cependant que durant la résolution de la crise ivoirienne, la question du désarmement a toujours renfrogné les mines chez les hommes de Soumaïla Bakayoko. Ces derniers avaient jusqu’ici leur secrétaire général et Premier ministre Guillaume Soro comme bouclier. En se mettant en retrait, Soro enlève le ’’parapluie atomique’’ à ses hommes. Il a lui-même clamé haut et fort, et plus d’une fois la nécessité pour ses soldats de s’engager résolument dans le processus de paix, qu’il a qualifié d’irréversible. Désormais, les hommes de Guillaume Soro n’ont plus le choix. Soit ils montrent pattes blanches dans l’application de l’accord de Ouagadougou, soit ils se dévoilent comme des anti-Ouaga et exposent leurs dos à la chicotte du maître. En tout cas, le retrait du tout-puissant secrétaire général des Forces nouvelles va permettre une plus grande visibilité au sein de l’ex-rébellion. Cela permettra de voir qui veut la paix version Ouagadougou et qui est contre, avant la tenue des élections.
Hamadou ZIAO
lundi 26 juillet 2010 par Assane NIADA
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