Réconciliation nationale, réforme de l'armée, lutte contre le terrorisme, lutte contre la corruption, reconstruction économique : le prochain président aura de quoi faire.
Les Maliens, qui se rendent ce dimanche pour élire leur prochain président lors d'un second tour qui oppose
le favori Ibrahim Boubacar Keita (dit IBK) au challenger Soumaïla Cissé, veulent tourner la page. L'espoir a remplacé la résignation et le nouveau président élu aura fort à faire pour satisfaire une population traumatisée par la crise la plus grave de leur histoire et stopper la spirale de la violence. Réconciliation nationale, réforme de l'armée, lutte contre le terrorisme, lutte contre la corruption, reconstruction économique : tout un programme pour un pays aussi fragile.
La réconciliation nationale
Comme toujours, les regards seront d'abord tournés vers le nord du pays, à Kidal. Fief du mouvement rebelle touareg du MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad), la ville, où les tensions inter-ethniques sont encore très vivaces, reste un foyer d'instabilité.
La signature d'un accord entre les dirigeants des groupes armés et Bamako n'a pas mis fin à la réalité des antagonismes ni à l'existence d'extrémistes d'un côté comme de l'autre. L'accord signé le 18 juin à Ouagadougou avait permis un cessez-le-feu et
le redéploiement de l'administration malienne dans la ville le temps du scrutin.
L'accord prévoit la reprise des négociations 60 jours après la nomination d'un nouveau gouvernement. L'issu des discussions sera décisive. Les questions du désarmement des rebelles, de leur intégration dans les forces maliennes et du statut donné aux régions du Nord doivent être tranchées. Avant l'ouverture du dialogue, les deux camps se préparent, font monter les enchères et
maintiennent la pression. Le MNLA a fait savoir qu'il proposerait un statut d'autonomie au gouvernement fraîchement nommé, quel qu'il soit, et à prévenu qu'il reprendrait les armes si le combat n'est pas démocratique. "Quel que soit le président élu, s'il aime son pays, il sera obligé de négocier avec nous, sinon on va à la catastrophe", avait insisté le mouvement au lendemain du premier tour.
Dans les autres villes du Nord, les élus locaux et les associations s'évertuent à réapprendre le vivre-ensemble. A Gao, comme à Tombouctou, les réfugiés, Touaregs et Arabes, sont peu à peu de retour malgré les difficultés liées à la saison des pluies qui rend certaines routes impraticables. Et malgré la crainte d'être de nouveau pris pour cible par des populations noires rancunières. Les journalistes sur place rapportent qu'à Gao, quelques magasins appartenant à des Arabes ont rouvert. Une tension qui a baissé mais n'a pas disparu.
Au prochain président désormais de veiller à l'égalité entre les populations et de résorber les problèmes de discriminations qui pousseraient les deux parties à reprendre les armes. Les débats s'annoncent compliqués et longs. Le nouveau président devra aller vite et peut-être faire des concessions sans délaisser le Sud et sans apparaître comme un dirigeant faible.
Le terrorisme
Autre défi d'envergure : la lutte contre le terrorisme qui s'est installé dans le nord du pays à la faveur du coup d'Etat et de la déstabilisation du pays. François Hollande a estimé que la mission militaire d'éradication des terroristes liés à Aqmi était un succès. L'opération Serval a en effet donné un coup d'arrêt à leur volonté d'expansion, a détruit bon nombre de leur arsenal et a fait fuir les survivants vers le nord du Niger et dans le sud libyen, quand ils ne se sont pas fondus dans la population. Les militaires français estiment la perte des combattants islamistes "entre 500 et 600" sur 2.000 hommes dont Abou Zeïd, l'un des leader du réseau. La dernière attaque-suicide remonte désormais à avril.
Cependant, il existe toujours des poches de résistance et les djihadistes gardent une capacité de nuisance importante dans un territoire très vaste et très difficile à contrôler. La brigade des "Signataires par le sang" a conservé son potentiel et son chef,
le très médiatique Mokhtar Belmokhtar, semble déterminé. Le 23 mai, un groupe armé a attaqué un camp militaire à Agadez au Niger puis le site d'uranium d'Areva à Arlit. Les attaques ont été revendiquées par "Les signataires par le sang" et par le Mujao ( Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest). Le prochain président malien devra donner une priorité à la coopération régionale pour lutter contre le terrorisme.
La remise en état de l'armée
Pour arriver à éradiquer les terroristes, le président malien devra compter sur ses soldats et s'atteler à la refonte de son armée. Humiliées après les défaites successives contre les rebelles Touaregs qui ont abouti au coup d'Etat du général Amadou Sanogo, essuyant la débâcle après l'offensive des djihadites au nord Mali, les Forces armées maliennes (Fama) ont désormais repris confiance et ont de nouveau le moral.
Un enjeu pour la France aussi qui s'est engagée à aider le Mali à reconstruire son armée. Le 14 juillet, ce sont les troupes africaines qui ont ouvert le défilé sur les Champs-Elysées. Sous son impulsion, la mission de l'Union européenne de formation de l'armée malienne (EUTM-Mali), a été lancée. Elle doit s'achever début 2014. Quatre bataillons seront formés pour la future armée malienne. Dans une interview donnée à RFI, le général français Bruno Clément-Bollée, maître d'œuvre de ce projet disait que "
le premier bataillon a été formé et même engagé" soit l'équivalent de "850" hommes. Le général confiait également que l'idée de prolonger la mission et de former quatre bataillons supplémentaires n'était pas exclue. Encore faut-il que le financement suive : l'EUTM n'a qu'un budget de 12 millions d'euros sur quinze mois.
Reste un problème à résoudre : écarter les anciens putschistes menés par Sanogo. Le "Nouvel Observateur" avait recueilli les confidences de lieutenants putschistes qui suggéraient qu'ils
n'avaient pas déposé les armes. L'un deux racontait : "Les ministres de la Défense, de la Sécurité intérieure, de l'Administration territoriale, des Transports, tous les membres de l'état-major sont des nôtres". "La junte [...] c'est diffus, il y a des métastases. Il y a des militaires et des civils qui n'en font pas partie mais qui respectent ses idées. C
e serait dangereux de mettre ceux qui ont fait le coup d'Etat entre parenthèses", avait aussi avertit Oumar Mariko, un jeune caporal du camp militaire de Kati, bastion des ex-putschistes. Ces derniers auraient d'ailleurs choisi leur président, pour eux, c'est IBK.
Corruption
Le Mali fait l'objet d'une corruption endémique, à tous les niveaux de l’Etat, dans les sphères politique ou militaire, et favorisée par les trafics en tout genre (drogue, armes, bétails, essence...et même d'otages). En farouche opposant de l'ancien président renversé Amadou Toumani Touré et à sa gestion catastrophique du pays, IBK a fait de la lutte contre la corruption l'un de ses chevaux de bataille avec un seul credo : la "tolérance zéro".
Ce ne sera qu'à ce prix que la communauté internationale débloquera son aide de 3,5 milliards d'euros. En première ligne, la France a exprimé sa volonté de mettre en place un dispositif permettant d'assurer une traçabilité complète des projets financés au titre de la coopération. Dans une interview donnée au "Nouvel Observateur", le ministre délégué en charge du développement, Pascal Canfin expliquait : l'aide engagée ne doit pas faire
"l'objet de détournement ou d'une mauvaise gouvernance comme cela a pu être le cas dans le passé. Nous avons donc décidé de mettre en place, de manière pilote, un dispositif qui assure la transparence totale de notre aide bilatérale en permettant un système de contrôle citoyen décentralisé. Ainsi, sur un site internet, chaque Malien aura accès à ce que la France a financé et au calendrier et pourra constater la réalisation du projet. Il pourra ainsi signaler par exemple par SMS à une 'hotline' d'éventuelles difficultés. Les donateurs seront donc alertés et pourront entrer en contact avec les autorités maliennes."
La
mobilisation des électeurs lors du premier tour a traduit des attentes immenses à la hauteur de la tâche qui attend le nouveau président, dès le lendemain de son élection.