mardi 25 juin 2013

Miguel, Marina, Carlotta... ces Espagnols qui fuient la crise au Maroc

(Le Monde 21/06/2013 - 15:36)
Carlotta Lopez, 32 ans a quitté sa Galice natale pour Tanger. "Avant, je regardais vers l'Europe, la France, les Pays-Bas, je ne m'attendais pas à venir en Afrique du Nord."Tanger, envoyé spécial. Restaurateur, cadre, retraité, chômeur, architecte ou maçon, ils sont des milliers à avoir traversé la méditerranée pour fuir la crise espagnole et chercher fortune au Maroc. Miguel, Marina, Carlotta ou Juan Carlos témoignent de cet horizon espagnol plombé par un taux de chômage qui dépasse le quart de la population active et touche plus d'un jeune de moins de 25 ans sur deux. Alors ils sont partis, non pas comme beaucoup d'autres vers le Nord, mais vers le Sud. Carlotta Lopez a quitté sa Galice natale. "Avant, je regardais vers l'Europe, la France, les Pays-Bas, je ne m'attendais pas à venir en Afrique du Nord", dit cette jeune femme de 32 ans. Carlotta est arrivée à Tanger, dans le nord du Maroc, en 2012. Et c'est une annonce sur Internet qui lui a fait tourner la tête vers le sud de la Méditerranée. Après des études de sociologie à La Corogne, un job de jeune fille au pair aux Pays-Bas, et quelques mois passés à aider son père, réparateur d'appareils électroniques, Carlotta a pointé au chômage. Aujourd'hui, elle est cadre dans une petite entreprise espagnole qui loue des chariots élévateurs. "LA PLUPART DE MES AMIES SONT AU CHÔMAGE" Trois employés, dont deux Espagnols, travaillent dans cette société espagnole située dans la zone franche. L'implantation récente de Renault avec l'ouverture en 2012 de son usine qui devrait employer 6 000 salariés en 2014, assure les activités de l'entreprise et la bonne santé de la maison mère en Castille. "Je gagne 1200 euros par mois, c'est bien plus que ce que je pouvais espérer en Espagne, mais je m'inquiète : on me dit qu'il y a la croissance au Maroc, mais je ne suis pas sûre que cela dure", explique la jeune femme qui aimerait fonder ici une famille. Car sa vie est au Maroc. "J'ai peur de l'avenir, la plupart de mes amies restées en Espagne sont au chômage. Si je perds mon emploi ici, je sais que c'est fini", dit Carlotta, encore un peu étonnée de se retrouver à Tanger. De fait, bien peu de ceux qui ont traversé le détroit de Gibraltar ont planifié leur migration. "C'est difficile pour des Espagnols de dire qu'ils cherchent du travail dans un pays arabe", concède Marina qui préfère rester discrète. "Je fais des allers et retours, ce n'est pas vraiment autorisé, mais je veux pouvoir profiter un jour de ma pension de retraite pour laquelle j'ai cotisé pendant vingt-deux ans." Cette Madrilène de 49 ans vivait chez sa sœur, après avoir perdu son emploi dans un laboratoire d'analyse médicale. Elle est revenue en avril sur la terre de son enfance. Née à Tanger où sa mère réside encore, Marina dit que le choix était facile pour elle. "Après plusieurs boulots, dont professeure de guitare classique, j'ai été au chômage pendant plusieurs années et ma pension est tombée à quelques centaines d'euros", raconte-t-elle, dans les couloirs de l'Institut Cervantes de Tanger, une institution qui dépend du ministère de la culture espagnol, l'équivalent de l'Alliance française. IMPLANTATION D'ENTREPRISES ESPAGNOLES Avant la crise économique de 2008-2009, le Maroc accueillait officiellement près de 3000 migrants espagnols. En 2011, ils étaient quatre fois plus nombreux. A Tanger, Ceuta, dans le nord du pays mais aussi plus au Sud, cette réalité est visible. Un long reportage consacré aux émigrés espagnols a été diffusé en mars sur la chaîne marocaine 2M. Le même mois, le site Tanjanews.com a même évoqué les "mendiants espagnols" qui font de la musique dans les rues tangéroises. Les réactions ont été vives sur la toile Maria Jesus Herrera, du bureau espagnol de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) relativise. "La migration espagnole se fait davantage vers l'Amérique latine, où il n'y a pas de barrière linguistique voire en Allemagne ou en France, dit-elle. Mais le Maroc n'est qu'à treize kilomètres de notre pays et il existe une tradition économique pour les entreprises espagnoles de s'y installer." Pere Navarro, conseiller social à l'ambassade d'Espagne à Rabat, insiste aussi sur les nouvelles implantations d'entreprises espagnoles. Une image plus valorisante à défendre pour cet officiel que celle de chômeurs ou de salariés fuyant un pays en crise et venant chercher meilleure fortune au Maroc. Les chiffres fournis par l'ambassade ne disent pas tout, surtout quand ils font état d'une "relative stabilité", avec quelque 10 000 Espagnols enregistrés officiellement - beaucoup ne sont pas déclarés. C'est peu comparé aux quelque 850 000 Marocains vivent en Espagne. "Les salaires sont nettement plus bas et venir ici sans projet professionnel n'est pas facile", explique M. Navarro. "TRAVAILLER EN ESPAGNE EST DEVENU IMPOSSIBLE" Miguel Martinez n'avait pas vraiment d'idée quand il a débarqué, fin février, avec sa vieille voiture et sa valise à Rabat. Il avait cru en la croissance espagnole et misé son capital pour acquérir un restaurant. Informé de la construction d'une nouvelle gare à quelque vingt kilomètres de Barcelone, il a acheté une concession dans un parc. Les autorités ont abandonné le projet par manque de moyens. Et Miguel s'est retrouvé seul avec son restaurant. Abandonné par les banques alors qu'il devait rembourser 150 000 euros, il a quitté la terre espagnole et sa fille de seize ans qui lui reproche d'"être loin". Dans sa superbe tenue bleu-noir, chef de cuisine d'un restaurant de luxe, les Trois Palmiers, au sud de Rabat, dominant l'Atlantique et une longue plage de sable blanc, Miguel dit simplement : "travailler en Espagne est devenu impossible". Ici, il se dit enfin heureux. Un constat partagé par Juan Carlos Sevilla qui, lui, a ouvert en 2012 son restaurant sur le port de Tanger. Originaire de Valence, 44 ans, l'homme robuste n'était pas restaurateur mais chef de chantier dans une cimenterie. Crise de l'immobilier oblige, il a quitté son pays pour venir ouvrir... un parc zoologique. Trop de tracas, alors il s'est rabattu sur la paella. "La vie est trop difficile en Espagne, raconte Juan Carlos. Même mon fils qui a 16 ans veut arrêter ses études et venir me rejoindre, il dit qu'il n'a pas de futur." "FAILLITE DU MODÈLE DES PAYS OCCIDENTAUX" Enrique Martinez reprend à son compte ce jugement sans appel. Avec sa queue de cheval, une originalité à la terrasse du café de la cinémathèque, en plein cœur de Tanger, la mine estudiantine, le jeune homme de 28 ans a pointé plusieurs mois au chômage, malgré sa formation de dessinateur industriel. En octobre 2012, il rejoint à Tanger son père professeur d'espagnol et donne quelques cours de mathématiques et de dessin technologique qui lui assurent quelque 230 euros par mois. "Je ne désespère pas de retourner dans quelques années en Espagne", avoue-t-il. Mais pour lui, la crise n'est pas terminée. "Il s'agit d'une faillite du modèle économique des pays occidentaux", dit Enrique qui a essayé sans succès de vivre dans une communauté agricole en Aragon. Cadre, artisan, chômeur, et un peu aventurier, ils viennent chercher un nouveau souffle au Maroc. Professionnel, et personnel bien souvent. A 62 ans, Toni vit bien dans la médina de Tanger. En Espagne sa maigre pension ne lui permettait aucun des plaisirs qui ponctuent ici ses journées. Acheter du poisson, boire un thé dans la médina, et disposer d'un appartement, minuscule certes, mais dont les deux fenêtres donnent sur le port. Ancien détective privé, venu en 2010 des Asturies, Toni ne regrette rien. "Quand mes amis me manquent, je les appelle via Internet, raconte le sexagénaire. Et je ne désespère pas de les faire venir." "Beaucoup viennent repérer, démarcher dans un premier temps", explique Alberto Gomez Font de l'Institut Cervantes de Rabat. Pour se soutenir, échanger les informations, ils se retrouvent chaque semaine dans un restaurant de la capitale marocaine. "Des gens cherchent un peu partout du travail, mais le phénomène est encore récent, estime Barnabe Lopez, universitaire vivant à Tanger. La vie ici n'est pas aussi bon marché qu'on pourrait le croire et le chômage existe aussi au Maroc." NOUVELLES OPPORTUNITÉS Comme chaque année au printemps, des centaines de Marocaines ont traversé le détroit pour aller faire la campagne de fraises à Huelva, en Andalousie. Les migrations se croisent. Des Marocains installés en Espagne retournent au pays, pour quelques mois, pour faire le taxi par exemple, laissant leurs familles afin qu'elles continuent à bénéficier des aides sociales espagnoles. "On a même constaté des transferts de fond du Maroc vers l'Espagne pour aider les familles à y rester, pour qu'elles gardent leur place en Espagne", témoigne Anke Strauss, du bureau de l'OIM au Maroc. "A chaque chose, malheur est bon, résume Abdellatif Mâzouz, le ministre des Marocains installés à l'étranger. Le Maroc est un pays ouvert et il doit savoir tirer profit de ces nouvelles opportunités." Rémi Barroux Une mobilité accrue au sein de l'Europe Plus de migrants venant du sud du continent. Entre 2009 et 2011, le nombre de migrants issus du sud de l'Europe a progressé de 45 %, selon un rapport de l'OCDE rendu public le 13 juin. L'Est de l'Europe aussi. La Pologne, la Roumanie et la Chine sont les trois premiers pays d'origine des migrations vers l'Europe. L'Allemagne, destination importante. Dans ce pays, entre 2011 et 2012, le nombre d'immigrés grecs a progressé de 73 %, celui d'Espagnols et de Portugais de 50 %, ce 35 % d'Italiens. Par Rémi Barroux -

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